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n°218 La Revue des Sciences de Gestion – Editorial par Philippe Naszalyi – Et nunc, reges, intelligite, erudimini, qui judicatis terram !

Et nunc, reges, intelligite, erudimini, qui judicatis terram !

Philippe NASZÁLYI
Directeur de la rédaction et de la publication 

« Pendant qu’ils font de la sociologie, ils ne sont pas au chômage ! » me répondait avec conviction, en mars 2003, un ministre du gouvernement français qui me recevait dans sa mairie.

Effectivement, comme le montrent les études des chercheurs en sociologie, ce sont les « populations d’origine moyenne ou populaire » 2 dont « le capital scolaire est assez faible » et qui en général « sont plus âgées que la moyenne » qui s’inscrivent dans ces matières à l’université et qui deviennent « le plus souvent (des) employés » ou sont « en statut précaire » ou « travailleurs sociaux »3.

« La pseudo démocratisation de l’université est en fait un massacre organisé » comme le souligne si justement Grégoire Bigot4.

On dénombre :
– 67 197 étudiants en psychologie ;
– 53 874 étudiants en histoire ;
– 52 709 étudiants en science de l’informatique et de la communication ;
– 28 053 étudiants en sociologie ;
– 5923 étudiants en archéologie, ethnologie et préhistoire.

Pour ne retenir que ces disciplines universitaires.5 Cette entrée en masse en premier cycle est encore accentuée par la multiplication des baccalauréats technologiques ou professionnels comme le montre bien Alain Chenu6, nécessitée par la volonté politique du « grand bond en avant » qui doit amener dans « l’avenir radieux », 80 % de classes d’âge au Baccalauréat. Comme le souligne l’analyse d’Odile Piriou pour ces étudiants de sociologie appelés de ses vœux par ce Ministre d’alors, il y a bien des difficultés, contrairement aux autres disciplines, à trouver un modèle professionnel autre que le « sociologue académique de l’Université ou du CNRS » 7.Or, et c’est une évidence, malgré l’augmentation importante des enseignants du supérieur en cette matière, les débouchés professionnels manquent cruellement ! La professionnalisation matérialisée naguère par la création des DESS
(Bac + 5) n’a pas plus été une réussite, hormis bien entendu les matières déjà essentiellement professionnelles, comme le souligne encore Charles Soulié à la suite de Pierre Bourdieu. Un diplôme
« en dehors du marché académique8 » ne vaut « en grande partie (que) ce que vaut déjà socialement mais aussi professionnellement son porteur »
9.

A ouvrir largement, sans sélection, à des enfants de milieux défavorisés, en raison de leurs origines sociales et scolaires, des premiers cycles universitaires, est une stupidité doublée d’un crime social et économique. « Comme la sociologie, la psychologie ou les langues » 10, il est tout aussi criminel, depuis 2002, d’avoir laissé filer la création des masters professionnels (successeurs des DESS) dans ces disciplines dont les débouchés ne devraient, au moins pour la sociologie à ce niveau, n’être que l’enseignement supérieur ou la Recherche ! 

« La société du risque »

En dénaturant la réforme du LMD11, depuis 2002 par corporatisme, imprévoyance ou lâcheté, les ministres de l’Education Nationale français, à commencer par le séduisant « dîneur en ville » devenu coqueluche des « Hauts Plateaux » 12 ces médias à la mode dont certaines chaînes de télévision prétendument d’information, ont amené la jeunesse estudiantine là où elle en est.

« Seule la France est capable d’un tel génie pervers et finalement destructeur de l’idée même d’enseignement public » 13. Il ne faut donc pas s’étonner que ces jeunes désabusés « qui se pensent plus rarement qu’autrefois comme de futurs intellectuels » 14 brûlent les écoles qui les ont laissés sans diplôme (150 000 selon le Ministère) ou dégradent les universités qui ne les conduisent qu’à la précarité et à l’exploitation. Il faut être bien incompétent ou obstinément inconscient, comme naguère Jules de Polignac15, pour proposer à des étudiants de sociologie, de lettres ou de sciences humaines, dont les débouchés sont à 80 % dans le secteur public ou para-public, des contrats de travail uniquement destinés aux entreprises privées.

Il faut aussi avoir une véritable méconnaissance de ce qu’est une entreprise et de ce que sont les orientations politiques, « traditionnellement à gauche, des étudiants comme des enseignants de ces disciplines » 16 pour mettre ainsi en porte-à-faux les chefs d’entreprise à commencer par ceux des TPE et des PME. « Les patrons vont payer très cher un soutien mesuré d’un contrat devant lequel ils ont été mis devant le fait accompli » s’insurge Sophie de Menthon17.

Qu’il est doux d’entendre encore, les doctes fonctionnaires devenus des hommes politiques fustiger ces jeunes « qui ne savent plus prendre de risque ». Si nous sommes bien entrés dans la « société du risque » 18 au sens d’Ulrich Beck, c’est-à-dire celle où « la production sociale de richesses est systématiquement corrélée à la production sociale des risques », nous sommes entrés dans une « paupérisation nouvelle19».

C’est l’attitude face au risque, c’est-à-dire la manière de le répartir, de le gérer ou de l’éviter qui détermine aujourd’hui les processus économiques mais surtout politiques et sociaux. Si la « stratégie du hérisson » « toutes épines dehors » ne produit pas l’effet escompté, comme le souligne Didier Heiderich, « les multinationales, les pouvoirs financiers et politiques (qui) n’ont d’autres volontés que de protéger le statu quo » doivent alors mettre en place une manœuvre d’évitement en « transférant les risques vers le bas de la hiérarchie sociale20».

Cette dimension sociale qui reprend des termes connus explique semble-t-il mieux cette crispation qui est apparue dans la société française lors de « la crise du CPE » qualifiée à juste titre de « mesurette » par la Présidente d’ETHIC qui prône que « Pour chaque filière l’ANPE ou le patronat pourrait évaluer les débouchés afin d’avertir les jeunes, attention, à la fin d’un cursus de sociologie, vous avez une chance sur mille de trouver un boulot » 21. Voilà donc réconciliés, chercheurs en sociologie et patrons, voilà surtout fustigée « la politique du chien crevé au fil de l’eau » selon l’excellente expression du Président de la Sorbonne pour qualifier la politique éducative des gouvernements successifs22.

Le « bougisme »

La pire des hypocrisies est bien alors de s’étonner qu’une jeunesse aussi fourvoyée par la seule volonté des gouvernements puisse trouver raisonnablement un emploi. Non seulement 150 000 jeunes, selon les sources ministérielles, sortent-ils du système scolaire sans diplôme, mais ceux qui, après un parcours du combattant « reviennent en gueules cassées », pour une majorité d’entre eux23 et reviennent avec un diplôme universitaire, après 5 ou 8 années de cursus (selon les redoublements) ne trouvent évidemment pas de travail à la mesure de leur formation et de leur niveau de connaissance. Dire que ce contrat de travail, le CPE, n’était destiné qu’à ceux qui, sans formation, restent au bord du chemin, c’est oublier bien vite la loi de Gresham qui énonce que : « la mauvaise monnaie chasse la bonne », et que par extension cela s’applique évidemment aussi, aux mauvais contrats de travail !

Le chômage des hommes peu qualifiés est passé de 5,4 % en 1981 à 13 % en 2002, celui des « qualifiés », c’est-à-dire diplômés du supérieur de 3 % en 1981 à 5,4 % 24. Il en est de la responsabilité de la classe dirigeante qui s’était engagée dans la stratégie de Lisbonne à doter « l’Europe d’ici 2010 de l’économie, de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique (en se donnant comme objectif de rattraper puis de dépasser les Etats-Unis) capable d’une croissance durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi, d’une plus grande cohésion sociale, dans le respect de l’environnement » 25. Plutôt que de réformer l’enseignement supérieur, « l’Etat républicain qui ne fonctionne plus comme une puissance d’impulsion, un point névralgique producteur d’initiatives »26 préfère agiter les peurs ou les réprobations pour justifier ce que l’on nomme, dans le politiquement correct, le « changement » qu’Eric Delbecque appelle avec justesse « le bougisme27 confondu avec le véritable changement ». C’est bien de cela qu’il s’agit en effet et deux études économiques au moins ont relativisé les chiffres atterrants qu’à l’envie, le mode politico médiatique relaie, en sachant parfois qu’ils sont tronqués.

« Le vertueux mensonge !»

Dans leur analyse, les effets des délocalisations sur l’emploi en France, G. Daudin et S. Levasseur l’écrivent sans ambages : « les données utilisées dans ce débat public pour appréhender les conséquences des délocalisations sont trop souvent de faible qualité ». C’est un euphémisme et l’on ne peut qu’inviter nos lecteurs à se reporter à cette étude de près de 30 pages qui apporte un éclairage excellent : « le gouvernement actuel utilise aussi ce type d’argument pour justifier les réformes structurelles du marché du travail » écrivent les deux jeunes analystes de l’OFCE avant
de rappeler que « les salaires plus faibles ne sont pas la source exclusive de la croissance des importations » et que « le dumping monétaire » est loin d’être indifférent dans les rapports déséquilibrés avec des pays émergents comme la Chine28 comme nous l’écrivions déjà en 1998. Il est dommage qu’une fois encore, ce soit le Président des Etats-Unis29 qui l’ait compris tandis que le Président de la Banque Centrale Européenne s’enferre dans le monétarisme le plus dévastateur30. Plusieurs économistes ont, par ailleurs, apporté des nuances aux chiffres admis sans discussion par l’ensemble de la classe politique et médiatique et qui figurent dans l’exposé des motifs de la proposition de loi sur l’accès des jeunes à la vie active en entreprise 31 qui est devenue loi et remplace le mort-né CPE. C’est ce que Philippe Monti appelle un « vertueux mensonge »32.

En effet, si 23 à 24 % des jeunes Français de 15 à 24 ans se trouvent être demandeurs d’emplois, il s’agit, bien entendu, de tous ceux qui ne sont pas scolarisés. En effet, si l’on rapporte comme pour toutes les autres catégories, le nombre de jeunes chômeurs (609 000) à la totalité de leur classe d’âge (7 833 709) on découvre alors, et c’est plutôt rassurant, que seuls 7,8 % des jeunes Français de 15 à 24 ans, sont au chômage, soit moins que la moyenne européenne (qui est de 8,2 %).

C’est ce que déclarent un peu dans le désert, à partir d’une étude du CEREQ, à la fois, le professeur Jacques Marseille33, trois économistes d’une autre « Ecole » 34 ou le professeur Olivier Favereau qui ajoute d’ailleurs que les jeunes ont une « durée de chômage » significativement plus faible que celle de toutes les autres classes d’âge : trois mois de 20 à 24 ans, contre dix mois de 40 à 44 ans… c’est-à-dire que les jeunes « sont plus employables » que les plus
âgés35. Il est donc réconfortant que les chercheurs et les universitaires soient d’accord sur les données réelles, même si l’on peut considérer, comme on l’a vu plus haut, que les jeunes Français sont plus longtemps scolarisés que les Européens. 

Et nunc, reges, intelligite…

Toutefois, la « méconnaissance de la réalité statistique ne peut que surprendre de la part de dirigeants supposés instruits ou correctement conseillés » 36 sauf si l’on considère que les hommes politiques, on n’ose plus les appeler « hommes d’Etat », « ces professionnels hyper spécialisés dans les jeux de pouvoir » selon la bonne formule de Jacques Marseille37, négligent la vérité des faits économiques tant cette culture est fort éloignée de leurs préoccupations réelles.

Quant aux journalistes, même pour ceux que l’on répute sérieux, est-ce paresse ou manquements fondamentaux à l’éthique élémentaire qui les fait reproduire sans vérification des approximations éminemment dangereuses pour leurs lecteurs ou les auditeurs ? De nombreux observatoires des Médias ont une fois de plus pointé avec justesse ce manquement de la presse française, « ces faiseurs d’opinion » beaucoup trop liés aux « dîners en ville » pour ne pas parler de cohabitations plus intimes !

Quoi qu’il arrive, le véritable perdant est une fois encore l’économie française et l’image de l’entreprise. Le « constat est rude ; les étudiants français les plus brillants n’ont pas envie d’être entrepreneurs, les investisseurs étrangers aiment moins la France, les entrepreneurs français sont convaincus que le « climat » est plus agréable à Genève ou à Bruxelles… Quant aux hommes publics, responsables syndicaux ou encore membres du corps professoral, peu parmi eux considèrent l’entreprise comme suffisamment noble pour y consacrer plus d’intérêt que cela » souligne Frédéric Bedin, Directeur Général du Public System et membre du Comité Directeur de Croissance Plus38, faisant aussi écho à Sophie de Menthon qui, à la sortie de la crise du CPE se désole que le « dramatique fossé entre l’enseignement qui justement pose problème vient de se creuser un peu plus ? Ce n’est pas le corps professoral qui va souffler l’esprit d’entreprendre39.

Rapprocher l’entreprise et l’université, voilà bien l’enjeu de ce que l’on avait appelé la loi Devaquet40 et son échec à l’automne 1986 à la suite de manifestations comparables à celles de ces dernières semaines. De là est ancré dans l’esprit de certains et relayé par la presse anglo-américaine ou chez certains Européens que la France est devenue irréformable.

Ce que reprennent à l’envie pour le culpabiliser, nombre de «  personnalités » qui estiment, à tort, que le « pauvre vieux pays » est ingérable ou que l’Education Nationale est un vestige stalinien.

…erudimini, qui judicatis terram !

Il y a toujours des contempteurs de leur propre pays. Ce furent les Bourguignons qui voulaient que la couronne passât aux « Anglois » et que défit Jeanne d’Arc. Ce furent des Catholiques qui autour des
Guise souhaitèrent la victoire de l’Espagne contre la dynastie des Valois puis celle des Bourbons. Ce furent, plus près de nous des « collaborateurs » qui souhaitèrent la victoire des Nazis contre le pays du Front populaire. Tout comme nos contemporains, ils pensent représenter le réalisme, le sens inéluctable de l’histoire ou celui de la construction d’une Europe idéale contre les tendances rétrogrades des peuples. Ils oublient qu’un pays qui à l’heure actuelle et à lui tout seul, fournit les excédents démographiques des 24 autres pays n’a guère de leçons d’avenir à recevoir de pays malthusiens41 où la mort dépasse la vie et dont les populations sont en décroissance absolue42.

Il est temps de clore la bouche à ces propagandistes de l’idée de la décadence, non pas au nom d’un patriotisme économique, mais bien au nom de la vérité des faits. Que la France qui entraîne à elle seule la totalité de la croissance de la population européenne depuis plusieurs années ait envie de se faire entendre de l’Europe, quoi de plus naturel. Que ses habitants, plus jeunes, plus divers que les autres, refusent l’uniformisation issue de systèmes qui leur sont hostiles, quoi de plus sain et de plus naturel car la France « joue un rôle spécifique et nécessaire »43en Europe.

Le nier « c’est manifester une haine de soi nihiliste et, dans le même mouvement, vassaliser notre continent, préparer le triomphe du nouvel ordre moral si cher à toutes les oligarchies financières et à tous les cénacles néo conservateurs, américains ou européens… » affirme encore avec force, Eric Delbecque dans une analyse si réconfortante de la part d’un si brillant chercheur de 33 ans.

En revanche, il y a bien un absolu échec des constructions européennes depuis Maastricht et Amsterdam à mettre en
place la « société de la connaissance » pourtant prévue par le protocole de Lisbonne. Sans contestation possible, le rapport de Wim Kok44, malgré le désir de la Commission européenne de minimiser la portée de ce document, le confirme. « En matière de R & D, on sait que la politique européenne a constamment balancé entre rhétorique de l’excellence et réalité du saupoudrage dans un contexte globalement marqué par la modicité des moyens et la lourdeur des procédures » 45. D’ailleurs, l’Europe, de l’aveu même de la Commission vient tout juste de lancer une consultation sur les améliorations à apporter aux règles communautaires en matière d’aides d’Etat pour ce qui concerne les projets encourageant l’innovation46. « Au cours des dix dernières années, alors que l’Europe donnait l’impression d’avancer, avec le marché unique, l’euro, l’élargissement, etc., elle a, en fait, fait du surplace ».47

Il est bien évident que le « volapük intégré48» qu’a fabriqué l’Europe, depuis quelque temps, trop longtemps même, sous la conduite d’un vieillard cacochyme qui depuis des années, croit et fait croire que toutes les mauvaises idées qu’il propose, le quinquennat fut l’une d’elles comme on le voit, sont signe de « modernité » alors qu’elles ne sont qu’une manière de détourner, avec la complicité de beaucoup, des vrais combats à mener comme celui de la formation ou de
l’innovation au sens schumpétérien 49 du terme. Dénoncer les insuffisances et les mauvais combats n’est pasnier la réalité, bien au contraire. L’on peut clairement dire que l’Europe et donc la France et ses entreprises se trouvent dans une véritable guerre économique qui a remplacé, pour le moment, les guerres qu’elles soient chaudes ou froides, depuis la n de l’empire soviétique au début des années 90. Désormais, l’entreprise est bien au centre de l’antagonismeentre les puissances économiques et il n’est pas étonnant que le « marketing
warfare
» mis en lumière en France par François Le Roy à la suite des chercheurs américains Philip Kotler et de R. Singh50 et d’Al Ries et Jack Trout51 eux-mêmesdans la lignée de Clausewitz52 et des stratèges de la guerre des siècles passés, soit à la pointe de la stratégie de la guerre économique. Comme le souligne Ludovic François « l’entreprise est au coeur de luttes d’influence » et un nombre croissant de grands groupes et de PME sont victimes « d’agressions par l’information » qu’on peut classer en deux catégories : « des opérations de déstabilisation à des fins concurrentielles » et des « crises éthiques » 53. Avec l’idée de la guerre économique est apparu le concept d’intelligence économique. Dès 1994, le président américain Bill Clinton lance une déclaration de guerre économique qui vise à asseoir la domination des entreprises américaines tant dans la conquête de nouveaux marchés que l’intégration et l’économie dans un marché globalisé dominé et appuyé par le contrôle de l’information.

« Pour faciliter la conquête des marchés » déclarait Marc Racine54, le Gouvernement américain « a mis en réseau tous les services de l’Etat susceptibles d’aider les entreprises grandes ou petites ». C’est l’Advocacy policy, cette politique de défense qui a été mise en place dès 1993
autour de deux organismes : le Trade Promotion Coordinating Committee55 et l’Advocacy Center56.

C’est en 1994 qu’Henri Martre, dans un rapport fondateur du Commissariat général au Plan sur « l’intelligence économique et les stratégies d’entreprise » 57 démontre l’intérêt de mettre en place une sorte de cellule de guerre pour défendre les intérêts de l’économie et des entreprises françaises et donc européennes. Et pourtant, « L’histoire ne repasse pas les plats58 ». C’est par cette expression populaire que Bernard Carayon, rappelle que depuis le rapport Martre, la politique française, dans le domaine de l’intelligence économique, est faite « d’efforts disparates et désordonnés et parfois de ratiocinations intellectuelles, de barbouzeries d’officines ou de
verbiages anglo-saxons de consultants
».

La première application du rapport de 2003, est la nomination d’« un haut responsable chargé de l’intelligence économique » en la personne d’Alain Juillet59 dont la mission est de sensibiliser à la guerre économique les entreprises tout autant que les administrations. A sa nomination, il estimait qu’il faudrait au moins trois ans pour que l’Etat réussisse à remplir son contrat pour « amener la majeure partie des entreprises françaises à utiliser l’intelligence économique en vue d’améliorer leurs compétitivités face à la concurrence mondiale60». La « veille attitude » pour emprunter l’expression de Jean Michel61.

« The accumulation of Knowledge »

Pour mettre en place « la société de l’information », « la société de la connaissance », consacrer 3 % du PIB en dépenses de R & D, à l’horizon 2010 au lieu des 2,10 %, aujourd’hui62, il faut réaliser un effort considérable qui ne peut venir que d’une prise de conscience et d’une mobilisation de tous les acteurs économiques. Le Japon qui sort de dix ans de restructurations et les Etats-Unis « qui est le pays le plus interventionniste quant il s’agit de protéger les intérêts de ses entreprises et quand il faut les accompagner sur les marchés mondiaux » comme le souligne encore Bernard
Carayon63 sont partis devant l’Europe. Ils sont suivis par la Russie et la Chine voire l’Inde, au moins. La saine réaction du Président de la Bibliothèque nationale64, même si elle se heurte à la fois au
scepticisme méprisant des traditionnels « thuriféraires de la décadence » et à la difficulté de mettre en place toute action dans le cadre européen présent, est « un véritable plaidoyer pour un
sursaut » concrétisé déjà par un accord francophone, le 28 février 2006.65

En effet, si l’on veut que les oeuvres de l’esprit retrouvent leur place, il faut qu’elles soient justement ,rémunérées ; là encore, le débat qui a lieu au Parlement sur l’application à la législation française de la directive « droits d’auteur » a montré la fragilité du respect que les parlementaires accordent au travail intellectuel, culturel, scientifique ou artistique.

Sous des prétextes fallacieux et démagogiques d’« exception pour les Bibliothèques » ou pire, d’« exception pédagogique » soutenues sans se rendre compte des conséquences, aussi bien par la CPU66 que par la CGE67, alliées des partisans de la « licence globale » au nom de l’accès à tous à la culture qui rendent le pire service que l’on peut
à la Recherche et à la Création. C’est la protection du droit d’Auteur, comme la législation française a su le conserver qui comme pour « l’exception culturelle » a permis, permet et permettra la
vie et la revitalisation des œuvres de l’esprit. La magnifique réussite du cinéma français en est un exemple limpide. Le travail de l’esprit qui a mis si longtemps à être considéré dans les
sociétés paysannes et matérialistes européennes, risque à tout moment de sombrer car il ne peut en aucune façon être offert gratuitement. Le développement de l’Innovation ne peut se faire que par le foisonnement, mais aussi la juste et convenable rémunération des idées et de leurs créateurs sous toutes leurs formes. Là encore, avec « les exceptions » les plus émouvantes possibles, c’est être sérieusement archaïque que de le nier ou volontairement conscient que cela favorise comme toujours les puissants établis ailleurs.

Un tiers des nouveaux produits lancés par Procter et Gamble est développé hors des murs de l’entreprise, dans le cadre de ce qu’Henry Chesbrough appelle l’Open Innovation du model « Connect and Develop », nouvelle appellation de R & D.68

La guerre économique, c’est aussi le renseignement et la veille, une stratégie d’anticipation et une vision proactive qui se fonde sur des réalités précises : 19 des plus grandes entreprises des Etats- Unis ont moins de 40 ans alors que les 25 premières entreprises françaises ont plus de 40 ans.69

51 % des entreprises de haute technologie sont américaines du Nord, 28 % ont leur origine dans la zone Asie-Pacifique et 17 % sont européennes.70

« La force des Etats-Unis aujourd’hui, c’est Dell, c’est Google, c’est E-bay, c’est Cisco… Ce n’est plus ni General Motors, ni Hewlett-Packard, La force de l’Angleterre, c’est Easyjet, Vodafone ou Virgin… Ce n’est plus ni Rover, ni British Airways » 71 s’exclame avec fougue le jeune patron de
« The Phone house », Geoffroy Roux de Bézieux qui préside aussi aux destinées du groupe d’entrepreneurs « CroissancePlus ».

Sans partager totalement cet enthousiasme « du passé, faisons table rase ! », il est évident que l’innovation au sens le plus large, préside à la création et au développement de ces fleurons de l’économie voire des NTIC comme elle se retrouve aussi dans de grands groupes comme Veolia, ancienne compagnie générale des eaux créée en 1853, avec ses 250 000 collaborateurs72ou chez Dassault Systèmes qui appartient à un groupe né après guerre.

Ce discours rappelle cependant que les PME, c’est-à-dire 98 % des entreprises et 60 % de l’emploi sur le continent européen peuvent être également l’un des vecteurs de l’innovation et du développement73, mais qu’il existe une véritable « difficulté pour les start-up de trouver en France plusieurs grandes entreprises technophiles, c’est-à-dire clientes, pour se développer »74hors d’un grand marché protégé.

Rappelons cette vérité des chiffres que les entreprises du CAC 40 ou les 101 plus grandes (celles de plus de 10 000 salariés) représentent 58 à 60 % des fonds investis en R & D, même si cela reste en part des profits et du chiffre d’affaires, notoirement et très largement insuffisant comme le souligne, Jean-Hervé Lorenzi, qui y voit avec raison, la véritable cause de la faiblesse française75.

Ce sont ces « gazelles »76qui doivent être encouragées. C’est bien
dans cet esprit que nous avons bâti le dossier sur l’Intelligence économique et sa relation avec la stratégie de l’Innovation.

La dizaine d’articles qui le composent tient compte de la diversité des problématiques sans jamais les épuiser : les « informations terrain » et le problèmes de management interculturel que nous plaçons résolument dans le cadre de l’intelligence économique, la compétition pour développer ce que certains appellent la rente technologique, les adaptations des organisations y compris les PME aux technologies et à la lutte « intelligente » constituent un ensemble cohérent où s’allient expériences et réflexion conceptuelle avec Internet au cœur.

Selon une pratique maintenant éprouvée, nous achevons ce numéro par un article « hors-dossier » qui est une très originale et excellente leçon à mettre en application en comptabilité en s’inspirant de Delaporte. Décidément la gestion nous rappelle avec justesse ses liens avec la science historique !

Cette masse d’information est là aussi pour nous rappeler qu’une étude récente nous informe que si l’âge moyen des prix Nobel et des plus grands inventeurs a augmenté « d’environ six ans au XXe siècle »77, alors que celui des exploits sportifs ne bouge pas, c’est comme le constate son auteur, le professeur Benjamin Jones de la Kellog School of Management78, parce que l’acquisition des connaissances préalables à toute découverte originale pèse plus lourd aujourd’hui…

Comme Benjamin Jones, Pierre Tabatoni enseigna à la Nortwestern University (Kellog). Qu’il me soit donc permis de les
associer, en rendant hommage à celui qui fut l’un de nos fondateurs et qui vient de nous quitter, en citant cette formule lapidaire qu’il affectionnait et qui peut constituer à la fois le résumé et l’introduction de ce numéro :

« L’innovation n’est pas une discipline universitaire ni un thème fréquent de doctorat. Elle est pourtant une des sources majeures de l’évolution de nos sociétés de technologie, de concurrence et de communication » 79.

Que cette lecture soit pour vous, « The accumulation of Knowledge » !

Notes

1. Littéralement : « Maintenant, rois, comprenez ; instruisez-vous, juges de la terre » Cette citation du Psaume (Ps., II, 10) est utilisée comme une antienne et avec la traduction suivante qui nous semble mieux appropriée à cet article : « Entendez, ô grands de la terre ; instruisez-vous,
arbitres du monde
» par Jacques Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, lors de l’Oraison funèbre d’Henriette-Marie de France, reine d’Angleterre et veuve du roi décapité Charles Ier Stuart, le 16
novembre 1669 au Couvent de la Visitation-Sainte- Marie-de-Chaillot. Nous citons ici l’introduction de ce morceau particulièrement brillant de l’éloquence jusqu’à l’introduction par son auteur, du verset du Psaume II « Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l’indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et terribles leçons. Soit qu’il élève les trônes, soit qu’il les abaisse, soit qu’il communique sa puissance aux
princes, soit qu’il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d’une manière souveraine et digne de lui. Car en leur donnant sa puissance, il leur commande d’en user comme il fait lui-même pour le bien du monde ; et il leur fait voir, en la retirant, que toute leur majesté est empruntée, et que, pour être assis sur le trône, ils n’en
sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. C’est ainsi qu’il instruit les princes, non seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples. Et nunc, reges, intelligite, erudimini, qui judicatis terram. »

2. Charles Soulié : « Mais que deviennent nos étudiants ? Une enquête sur le devenir professionnel des étudiants en sociologie ? », La lettre de l’ASES, n° 29, octobre 2000, page 1.

3. Charles Soulié, ibid

n°218 La Revue des Sciences de Gestion – Intelligence économique et stratégie de l’innovation

Télécharger ici tous les résumés des articles (pdf) 

>> « Et nunc reges intelligite ! »(pdf), éditorial parPh. Naszalyi

Dossier : Intelligence économique et stratégie de l’innovation

>> Veille anticipative et intelligence collective : usages
innovants
>> Veille et organisation : enjeux pour l’innovation ?
>> Hypercompétition, rentes et brevet : le management des droits de la propriété industrielle
>> Fusions-acquisitions : le choc des cultures
>> Intelligence
économique et PME
>> Dynamisme et stratégie des groupes pharmaceutiques
>> L’alignement de
projets : une démarche systémique
>> L’utilisation des canaux à distance : le point de vue des dirigeants de banque
>> Impact des
technologies sur les performances commerciales
>> Vers une meilleure gestion des interfaces de la « supply chain »

Hors dossier

>>
L’actualité de la gestion (pdf)
>> Faut-il chercher chez Delaporte, les bases
de comptabilité du XXIe siècle ?

Vous retrouverez également dans la publication papier des appels à communication, à papiers, présentations de colloques…
inédits.

n°216 La Revue des Sciences de Gestion – Spécial finance et responsabilité éthique

Télécharger ici tous les résumés des articles (pdf)

>> « La République n’a pas besoin de savants ! »(pdf), éditorial parPhilippe Naszalyi

Dossier : Finance et responsabilité éthique

>>L’éthique des affaires : le cas Enron
>> Légitimité et réglementation dans la gouvernance dans les sociétés américaines et françaises
>> Indépendance des analystes lors de l’introduction en bourse
>> Pratiques comptables et système d’information des PME
>> Évaluation des options sur obligations
>> Stratégie d’innovation, diversification et gestion des résultats
>> Diversification des firmes et appréciation des marchés
>>La performance des fonds obligatairesfrançais

Hors dossier
>> L’actualité de la gestion (pdf)
>>Culture d’entreprise et contrôle de gestion

Vous retrouverez également dans la publication papier des appels à communication, à papiers, présentations de colloques… inédits.

n°216 La Revue des Sciences de Gestion – Editorial par Philippe Naszalyi – La République n’a pas besoin de savants !

« La République n’a pas besoin de savants ! »

 par Philippe NASZÁLYI

Directeur de La Revue des Sciences de Gestion
direction et gestion des entreprises

Terrible et lourde de conséquences, cette réplique du président du Tribunal révolutionnaire1scellant le sort du « législateur de la chimie »2qu’est Lavoisier3qui demandait au prononcé de sa condamnation à mort, quelques jours de grâce, pour terminer une expérimentation. Il est vrai que le Tribunal révolutionnaire restait dans la logique de la Convention qui avait supprimé quelque temps auparavant, l’Académie des sciences4.

On peut raisonnablement se demander si les lointains successeurs de la dite Convention, fondatrice de la République française, ne sont pas dans les mêmes dispositions envers nos modernes savants que sont les « chercheurs ».

La marchandisation du savoir

« Chercheur » : ce mot vague, parfois moqué est souvent utilisé dans un sens très restrictif.

Si la recherche médicale ou biologique trouve en général grâce, la recherche fondamentale est plutôt regardée avec mépris par ceux qui attendent d’un chercheur qu’il valorise le « grille-pain » ou invente l’objet qui permettra une rentabilité immédiate dans le sens actuel « de la marchandisation du savoir »5.

Si les hommes d’affaires ont bien souvent une vision qui n’excède pas une année, que dire des hommes politiques dont l’horizon ne dépasse
parfois pas quelques jours et, en tout cas, la « une du 20 heures ». C’est dans cet esprit qu’après avoir célébré en grande pompe, notre admirable défaite navale de Trafalgar6, par, et avec les Anglais, les mêmes n’ont pas eu la raison de s’impliquer dans la célébration d’Austerlitz de cettemême année 18057.

Quel rapport pourra-t-on penser entre la décapitation de Lavoisier et la célébration de la victoire de Napoléon Ier? – loin de nous, l’anachronisme ou l’amalgame !

Nous nous garderons comme d’aucuns, de juger le passé à la lumière du présent, ce qui constitue la plus grande forme d’intolérance, de manque de jugement et d’« ascienticité », mais de comprendre le présent, à la lumière des événements passés.

C’était déjà tout le problème du grand Joseph Roth dans les années 30 : « comment résister à un imbécile ? »8et de plus, ne pas être écouté comme Cassandre ! La Convention décapite les savants et supprime l’Académie des sciences. Rétablie à peu près, dès 1795, cette indispensable réunion des savants élit parmi ses membres, le jeune « mathématicien » passionné qu’est le vainqueur d’Italie, le général Napoléon Bonaparte, en 1797. Les connaissances de ce dernier en sciences, et particulièrement, en mathématiques sont évidentes et connues, même si, bien sûr, son élection demeure aussi politique9.

Toutefois, c’est bien entouré de 150 savants qui vont illustrer tant d’excellences scientifiques dans tous les domaines que le futur empereur part en Egypte en 1798.

De manière comparable, quelque temps après, la victoire d’Austerlitz annonce l’Europe française de 1811. « Et cette Europe, ou du moins ses
élites, parlaient une seule langue, le français, dont Rivarol avait vanté l’universalité dans un discours couronné par l’Académie de Berlin
».10 […] « L’Europe de Napoléon reposait sur la force et sur une édification empirique. Lorsqu’il annexe, lorsqu’il impose, l’empereur ne fait jamais appel au référendum, ce plébiscite dans l’utilisation duquel il était passé maître en France. Le Grand empire est d’abord une machine de guerre contre l’Angleterre : fermer le continent aux marchandises anglaises pour ruiner son commerce et son industrie et précipiter la chute de la livre sterling, condamnant ainsi « la perfide Albion » à accepter la paix.11»

Toutes les raisons pour les thuriféraires des marchés, de ne pas célébrer Austerlitz sont déjà presque réunies dans cette comparaison entre l’ambition et la réussite politiques de l’un et la longue kyrielle d’échecs sans idéal des autres ! 

Cette « démocratie émotive »

Louis-Philippe déjà ne s’était pas grandi à essayer de se parer des cendres du défunt empereur : la leçon a, semble-t-il, été retenue, du
moins pour quelques uns qui ont encore un peu de culture historique, mieux valait parader à Trafalgar. La défaite est soeur du renoncement.

C’est le fruit de cette « démocratie émotive » que souligne encore le sociologue Gérard Mermet qui explique les choix ou plutôt les lâchetés – les non-choix – par peur de heurter ce besoin qui « existe dans nos populations […] d’éprouver les mêmes émotions que son voisin, de vibrer à l’unisson autour des mêmes slogans, de détester les mêmes symboles ou de s’identifier systématiquement à ceux qui apparaissent, à tort ou à raison comme des victimes. »12 « La rationalité a par moments beaucoup de difficultés à l’emporter sur le slogan émotionnel » le rapporte non sans humour, le généticien Axel Khan13 dans un tout autre contexte !

Dans ces conditions, il est alors plus facile d’être en fait, continuateur du président du Tribunal révolutionnaire que successeur du vainqueur d’Austerlitz ! « Décidément, la République n’a pas besoin de savants ! »

En effet, et l’histoire est là pour nous le confirmer, c’est également : « grâce à une politique volontariste (que) Napoléon a élevé (la France) au premier rang des puissances scientifiques. »14

Les différences sont ainsi confirmées et pour mieux le comprendre, il n’est que de reprendre, quelques éléments de l’avis de l’actuelle Académie des Sciences « sur l’avant-projet de loi programme pour la Recherche. » en discussion au Parlement : « Il apparaît, cependant, que la plupart de ces mesures contiennent des zones d’ombre préoccupantes parce que traitées de façon trop imprécise et ne donnant pas les garanties nécessaires pour une application satisfaisante.

En outre, certaines des dispositions proposées risquent d’avoir des effets délétères si elles sont appliquées sans mesure. Il convient ainsi d’insister sur 4 préoccupations qui devront guider la rédaction des textes, notamment des décrets d’application de la loi. Une inquiétude importante persiste, poursuit encore l’Académie des Sciences15, sur l’utilisation de l’augmentation annoncée du budget de la Recherche. Il est impératif d’une part que cette augmentation soit précisée en termes de pouvoir d’achat réel, et d’autre part, qu’elle ne soit pas réduite par les dispositions fiscales accordées aux entreprises. Si la croissance de l’effort financier dévolu à la recherche est bienvenue, celle-ci doit se traduire simultanément par des moyens accrus, pour les organismes et les universités, afin de leur redonner des capacités d’initiative et de financement des bons laboratoires, en particulier pour la recherche fondamentale. »

Décidément, pour reprendre les travaux récents d’une équipe du CNRS, il n’y a pas que les poux pour détruire l’oeuvre et les ambitions de Napoléon Ier !16 

L’absence de politique scientifique volontariste

L’absence de vision prospective et la méconnaissance de l’histoire (ce qui va généralement de pair) doublée de l’application rétroactive de
valeurs du présent sur les faits passés, redonnent sans cesse et malgré tout, vie à cette assertion barbare : « La République n’a pas besoin de savants ! ».

La France ne se situe plus que légèrement au-dessus de la moyenne des « 25 » et globalement en dessous des « 15 » dans le domaine de
l’Innovation17 largement distancée par la Suède, la Finlande ou le Danemark mais aussi par la Suisse, les Etats-Unis ou le Japon…

Comme le constatent les experts de Bruxelles, « l’indice global d’innovation » de la France est inférieur à celui de l’an passé et débute une grave tendance vers le recul. Les causes premières en sont évidentes : l’absence de politique volontariste en faveur de la Recherche, de toute la Recherche, fondamentale ou appliquée, mais aussi, et là encore, contrairement à nos concurrents d’Outre-atlantique, dans tous les domaines des sciences humaines et sociales parmi lesquelles, et nous ne cessons de le dénoncer, les sciences de
gestion sont parmi les plus mal traitées, autant par les instances et organismes de la Recherche d’ailleurs que par les hommes politiques globalement et quasi uniquement formés à l’administration
publique.

Ce n’est pas en France qu’un ministre interromprait sa carrière pour faire des études de gestion… c’est bien entendu outre-Atlantique et
particulièrement au Québec18!

Ce recul, ce besoin de réflexion par rapport à l’immédiateté est le fondement de toute action et de tout travail intellectuel, « chaque
chercheur le ressent comme une évidence : aucune activité scientifique ne peut être menée en prétendant du passé faire table rase.
»19

La connaissance scientifique n’est pas simplement utilitariste, ni de circonstance, comme le montre à l’envie les dévoiements anachroniques de l’histoire. Il n’est pas vrai que l’on puisse faire dire à l’histoire tout et son contraire. L’attribution à des personnages passés ou à des périodes anciennes, de qualifications liées uniquement à l’histoire du XXe siècle, tendant à se généraliser
ces derniers temps, aboutit à une dangereuse banalisation des crimes que l’on pense dénoncer en leur enlevant leur spécificité temporelle.

Comme Yves Coleman, et pour prendre un exemple  transalpin, nous pouvons affirmer que « ceux qui dénoncent l’avènement proche du fascisme en Italie pratiquent sciemment la désinformation ».20
On peut faire la même analyse à propos de la France contemporaine !

Si elle n’est pas immédiatement mercantile comme pour certains auteurs de « brûlots » contemporains (on pourrait même s’interroger sur la finalité réelle de ces dénonciations des siècles passés), l’action de ces demandeurs de repentance, à des morts qui ignoraient tout de ce que l’on peut leur reprocher et ne peuvent se défendre
aujourd’hui, est un trait d’union, décidément avec cette république qui « n’avait pas besoin de savants ! »…

« A vaincre sans péril… »

On se doit donc d’attendre avec impatience, à l’instar des Bourgeois de Calais, le chef de l’Etat italien venir reconnaître humblement et
publiquement les « génocides » de César contre les populations gauloises et la faute de son peuple complice des mauvais traitements envers Vercingétorix, étranglé dans sa prison romaine21 ou encore, le renouvellement de « Canossa » par le président allemand afin de faire repentance du « crime de guerre » que constitue le massacre des légions de Varus par Herman !22

Si l’ancienneté des faits conduit naturellement à sourire, elle n’en est pas moins révélatrice de la confusion des pensées qu’amène l’absence de convictions dans cet état que l’on appelle la « démocratie émotive ou émotionnelle ». Cette mode de l’accusation qui pourrait n’être qu’un moyen de faire parler de soi ou de vendre du
papier fait courir un risque majeur accru aux sciences humaines et sociales. 

L’histoire : mère de toutes les disciplines !

Comme le rappelle Gérard Noisiel, « les sciences humaines sont constamment menacées car elles sont décrédibilisés par les discours que les hommes politiques ou les journalistes tiennent sur le monde social »23.

Procéder en historien est fondamentalement le fait d’une démarche scientifique et méthodologique éprouvée : « La méthode historique présente un intérêt : l’administration de la preuve. Le fait comme preuve est au centre de sa problématique ».24

Tout comme pour les autres chercheurs, la connaissance de l’histoire et l’utilisation de la méthode historique sont aussi indispensables aux
gestionnaires. Marc Nikitin souligne fort justement : qu’« En devenant des partenaires, l’historien et le manager devront nécessairement apprendre à se connaître et se respecter. Oui, l’histoire peut-être utile au manager ! et quand elle accepte de l’être, rien ne l’oblige à se dévoyer. »25

Nous ne pouvions écrire mieux pour expliquer nos propos préliminaires : Historia magister vitae.26 Ce dernier numéro de
l’année du bicentenaire d’Austerlitz, consacré aux rapports entre les finances et l’éthique, entre tout naturellement dans cette logique que définit si bien encore, Anne Pezet lorsqu’elle écrit que : « la construction stratégique de l’investissement… serait la synthèse de la stratégie et de la finance »27. Pas plus que les autres domaines, l’éthique des affaires n’échappe pas à cette règle de la synthèse des faits : « Un cas n’est rien d’autre qu’une pseudo-histoire d’entreprise » le constatent avec raison Luc Marmonnier et Raymond.-Alain
Thiétart28.

C’est donc par le cas Enron que nous ouvrons le dossier consacré à l’évaluation des entreprises et l’éthique qui, en huit articles, fait le point de la recherche managériale la plus poussée sur cette épineuse question et illustrée par des exemples qui dépassent largement le champ hexagonal pour s’implanter dans une vision globale et francophone du management financier.

Cette éthique qui, dans l’esprit de Lévinas dont l’année 2005 qui s’achève, marque le dixième anniversaire de la mort et l’année 2006 qui s’ouvre, le centenaire de sa naissance, n’est pas recherche de « perfectionnement ou accomplissement personnel » mais responsabilités à l’égard d’autrui à laquelle le moi ne peut échapper et qui est le secret de son unicité.

Car, comme l’expose le philosophe « les activités sociales, la science et la technique sont, dans la mesure où elles ont pour but de venir au
secours de l’homme, plus « religieuses » que toute forme de sacralité. »29 

« Il n’est de richesse que d’hommes »

Les relations entre la finance et les hommes et les femmes qui constituent les entreprises n’obéissent pas « à un modèle unique en matière de relation « compétitivité – emploi » mais au contraire un ensemble de relations complexes à la fois interactives, instables, susceptibles d’évolutions drastiques, y compris par les représentations humaines d’autre part. » Nous ne pouvons qu’adhérer à cette conviction défendue par Roland Pérez et Julienne Brabet dans une étude récente.30

C’est dans cet esprit que clôturer ce numéro par une étude empirique qui replace la « culture d’entreprise » souvent un peu oubliée par les
gestionnaires, dans la logique de son interaction sur le contrôle de gestion nous a paru en cohérence avec l’ensemble. Finis coronat opus…31 disaient les Anciens.

En achevant cette présentation consacrée à la Finance, il n’est pas interdit de formuler des voeux qui annoncent à la fois la
nouvelle année 2006 et le 1er numéro de cette 41e année de la revue qui sera consacré à différents aspects des ressources humaines et résumant après Bodin, auteur notamment de « La méthode de l’histoire »32, notre conviction profonde qu’« Il n’est de richesse que
d’hommes
.
»

(1) René-François Dumas est nommé président du tribunal révolutionnaire par Robespierre, le 8 avril 1794 en remplacement de Martial Hermann, jugé « trop mou ».
Dumas fut arrêté le IX thermidor et guillotiné, le lendemain, 28 juillet 1794 avec Robespierre et les principaux « terroristes » jacobins. C’est devant ce tribunal que comparaissent trente-deux fermiers généraux dont Lavoisier, pour malversations, profits excessifs, gratifications abusives, retards injustifiés dans les versements au Trésor et surtout fraude sur le tabac. La Ferme générale est accusée alors, d’avoir majoré ses profits par une « mouillade » excessive et d’avoir utilisé ces profits dans un « complot contre le peuple français tendant à favoriser par tous les moyens possibles le succès des ennemis de la France » (AN, W362, n° 785). Vingt-huit d’entre eux sont condamnés à la guillotine et exécutés le jour même : tous leurs biens sont confisqués. Lavoisier est le quatrième. Il est décapité en même temps que son beau-père Jacques Paulze, avec lequel il s’était spontanément rendu, après le décret d’arrestation contre les fermiers généraux du 24 novembre 1793. On pourra lire, à propos des fermiers généraux et de leur funeste sort notre info : « congrès internationaux : Paris largement dépassé, » page 123 de ce numéro.

(2) Titre décerné par Louis Pasteur à Lavoisier, lors du centenaire de l’exécution du chimiste, en 1894.

(3) Antoine-Laurent de Lavoisier, né et mort à Paris, 1743-1794.

(4) D’abord société de savants qui se réunissent dans la bibliothèque et sous la protection de Colbert à partir de
1666, cette assemblée prend le nom d’Académie royale des sciences lorsque Louis XIV en devient le « Protecteur » et lui donne un règlement. Elle est supprimée comme toutes les académies, par un décret de la Convention en 1793. En 1795, le Directoire rétablit un Institut national des sciences et des
arts. En 1806, Napoléon Ier transporte ce qui est désormais, l’Institut de France, dans l’ancien collège des Quatre-Nations. Bicentenaire de l’installation des cinq Académies au Collège des
Quatre-Nations. http://www.institut-de-france.fr

(5) Sophie Boutillier et Blandine Laperche, Savoir et recherche, la place des femmes : le cas de l’Université
du Littoral Cote d’Opale (Nord-Pas-de-Calais), cahiers de recherche du Lab. RII — documents de travail, n° 116, janvier 2006, p.3.

(6) A Trafalgar, près de Cadix, le 21 octobre 1805, les flottes françaises et espagnoles furent détruites par l’Amiral
Horatio Nelson. Pour célébrer le bicentenaire de leur victoire, les Anglais ont organisé le 28 juin 2005, une parade navale internationale, où étaient représentés 35 pays, sous la présidence de
la reine Elizabeth II. La France avait dépêché pour fêter la mort de 4 400 marins français et alliés et la destruction de 22 de ses navires, le fleuron de sa flotte, le porte-avions Charles-de-Gaulle !

(7) Le 2 décembre 1805, le jour du 1er anniversaire de son sacre, l’empereur des Français, Napoléon Ier remporte une
victoire décisive contre les armées coalisées du Tsar de Russie et de l’empereur du Saint empire romain germanique, François II qui, quelques jours après, au traité de Presbourg, devait constater
la dissolution du vieil empire germanique médiéval et prendre le titre de François Ier d’Autriche. Outre que cette victoire consacre le triomphe des idéaux révolutionnaires qu’incarne Napoléon Ier sur les souverains d’Ancien Régime que sont Alexandre Ier Romanov et François II de Habsbourg-Lorraine, il est à noter que le projet « Austerlitz 2005 » mis en place par plusieurs organismes internationaux et des sociétés savantes internationales, sous la conduite du gouvernement tchèque, comportait parmi les buts de cette commémoration: (www.austerlitz2005.com)

• « Inciter à mieux connaître l’histoire et la culture française…
• Permettre aux historiens du monde entier et à tout intéressé de se rencontrer… » Décidément, on comprend mieux l’absence de retentissement dans les instances officielles… « La République continue à ne pas avoir besoin de savants ! ». Heureusement que l’on ne sait pas très bien où se situe Alésia, sinon nos vaillants dirigeants s’y seraient précipités pour célébrer la défaite gauloise… Heureusement, il leur reste 2015, le 18 juin. Il est certain qu’ils se précipiteront alors en Belgique fêter le bicentenaire de Waterloo et laisseront de côté le Mont Valérien et le 75e anniversaire de l’appel à la résistance du Général de Gaulle ! Ne serait-ce pas lui qui fustigeait par avance certains de ceux qui viendraient après lui : « place aux doctes spécialistes de la décadence et de l’abdication…. » si l’on s’en réfère à Philippe Seguin.

(8) Joseph Roth, « La Filiale de l’enfer. Ecrits de l’émigration », traduit de l’allemand par Claire de Oliveira,
Seuil/Le don des langues, Paris 2005.

(9) Pendant la campagne d’Italie, lors d’une veille de bataille, il lui aurait été soumis le problème suivant : «
retrouver le centre d’un cercle (non marqué bien sûr) avec la seule aide d’un compas ? ». Il résolut ceci, qui désormais porte le nom de « problème de Napoléon » tandis qu’on appelle « théorème
de Napoléon » le texte suivant : « un triangle quelconque, construire sur chacun des côtes, vers l’extérieur, un triangle équilatéral. Construire le « centre » de chacun de ces triangles (point
de rencontre des médianes, hauteurs et bissectrices). Alors, le triangle formé par les trois centres est un triangle équilatéral. Source : Serge Etienne, professeur de mathématiques, Lycée Fesch, Ajaccio.

(10) Jean Tulard, président de l’Académie des sciences morales et politiques, texte de la conférence prononcée lors de la séance de cette Académie, le 9 janvier 2004.

(11) Jean Tulard, op. cit.

(12) Denise Bombardier, « La Démocratie émotionnelle », Le Devoir, 5 août 2003.

(13) Axel et Jean-François Khan : « Comme deux frères, Mémoires et visions croisées », Stock, 302 pages, Paris 2006.

(14) Eric Sartori : « Napoléon et ses savants », Masterclass de l’association Sciences et télévision, 3 juin 2004, www.sciences-television.com.

(15) Recommandations de l’Académie des sciences sur l’avant-projet de loi de programme pour la Recherche. Texte voté en séance le 22 novembre 2005 (modifié le 15 décembre 2005 par la suppression de la référence aux articles de la loi).

(16) Selon les résultats de l’équipe franco-lituanienne de Didier Raoult (CNRS-Université de la Méditerranée) sur une
fosse où s’ont ensevelis des soldats de la Grande armée à Vilnius, datant de décembre 1812 et mise à jour en 2001, près d’un tiers des soldats ont été victimes d’infections et de fièvres transmises par les poux plus que par les assauts des Cosaques.

(17) Source : Tableau de bord européen de l’Innovation, 5e édition, publiée par la Commission européenne, Bruxelles, 2006.

(18) André Boisclair a été élu le 15 novembre 2005, chef du Parti québécois à l’âge de 39 ans. Après avoir exercé les charges de ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration puis de la Solidarité sociale, de l’Environnement et enfin des Affaires municipales, il avait choisi à l’été 2004 de quitter ses fonctions pour parfaire sa formation en devenant étudiant en gestion à Harvard…

(19) Marc Nikitin – laboratoire orléanais de recherche (LOG), IAE, document de recherche « Utilité et méthodes de l’histoire pour les sciences de gestion » n° 1997-5, p. 11

(20) Yves Coleman : « Voter les yeux fermés : une curieuse conception de la démocratie ». http://www.mondialisme.org

(21) En 46 avant J.-C., après son triomphe officiel à Rome, César fit étrangler Vercingétorix dans sa prison romaine après six ans d’incarcération.

(22) En 9 après J.-C., Herman ou Arminius après les avoir attirées, dans un piège, massacra les trois légions romaines
menées par Varus dans la forêt de Teutberg. (23) Entretien avec Gérard Noisiel, auteur des « Fils maudits de la république, l’avenir des intellectuels en France », Nouveaux regards, n°29, avril-juin 2005.

(24) Anne Pezet, « Le management stratégique et financier de l’investissement: un siècle d’histoire de la décision
dans l’industrie française de l’aluminium », Finance Contrôle Stratégie, vol. 3, n° 3, septembre 2000, p. 157.

(25) Marc Nikitin, op cit., page 10.

(26) L’Histoire est maîtresse (enseignante) de la vie.

(27) Anne Pezet, op. cit., p. 159.

(28) Luc Marmonnier et Raymond-Alain Thiétart, « L’histoire, un outil pour la gestion ? », La revue française de gestion, n° 70, septembre-octobre 1988, p. 164-5, cités par Marc Nikitin, op. cit., page 5.

(29) Emmanuel Levinas (1906-1995), d’après l’édition francaise du Jerusalem Post, 7 janvier 1997.

(30) Roland Perez et Juliennne Brabet, « Management de la compétitivité et emploi : un cadre d’analyse », Humanisme et entreprise, n° 304-44, 05-273, 2005, pp. 14-66.

(31) « La fin couronne l’oeuvre » en traduction littérale.

(32) Jean Bodin (1529 ou 30-1596), « La méthode de l’Histoire », 1566.

n°214-215 La Revue des Sciences de Gestion – Editorial par Philippe Naszalyi – Allo New-York, je voudrais le 22 à Asnières…

« Allo New-York, je voudrais le 22 à Asnières… »

parPhilippe NASZÁLYI
Directeur de La Revue des Sciences de Gestion
direction et gestion des entreprises

C’est par ce sketch populaire d’il y a tout juste cinquante ans qu’un humoriste français1 raillait l’incohérence de l’Administration des Postes, Télégraphes et Téléphone (PTT) comme l’on disait alors, et ridiculisait ceux qui, pour atteindre la banlieue parisienne, devaient passer par New York. On n’était pas avare en ce temps là, de « soumission Atlantique»… Toujours cité parmi les cinq sketches les plus populaires, par les Français2, malgré la disparition tragique de l’humoriste3 il y a plus de 30 ans, sa renommée dépasse largement les frontières de l’Hexagone. Cela montre, s’il en était besoin, que malgré les progrès réalisés, notamment en « technique »4, le fond qui justifiait la raillerie n’a pas disparu. En effet, il est peu vraisemblable que les représentants des gouvernements successifs rappellent à une grande société de transport ferroviaire :

– que le service public est celui du public ;

– que le progrès des techniques ne peut compenser une politique managériale fleurant bon le XIXesiècle ;

– qu’un « marketing des services tronqué » qui sacrifie le service et la sécurité des usagers par des économies sur le personnel ne peut fonctionner qu’en faussant la représentation pourtant bien faible, des associations de voyageurs.5

Ils ne rappelleront pas plus à l’ordre, une société de transport en commun parisien, à prétention internationale, mais de statut toujours public, dont le service commercial décide sans aucune justification légale qu’elle ne prélèvera pas les abonnements de transport sur certains types de compte…

C’est bien oublier cet excellent apport de chercheurs en marketing que sont notamment les Américains affirmant, études à l’appui, qu’il ne peut y avoir de marketing intelligent que lorsque l’entreprise vise « la satisfaction réelle des besoins de ses clients tout en gérant un  système de production de services, profitable, délivré par des employés qualifiés et agréables »6 et non la poursuite de chimères propres à satisfaire l’ego et le carriérisme de ces fossoyeurs des entreprises qu’ils ont pourtant mission de défendre et développer.

Pratiquant ce que dans le pays dont ils idolâtrent les méthodes, on appelle « racket », nos modernes Trissotin avec la neutralité bienveillante voire la complicité des hommes de gouvernement, estiment pourtant appliquer une politique managériale et de marketing de pointe !

L’on ne peut cesser de s’interroger sur la véritable schizophrénie de ces praticiens qui, souhaitent tout à la fois le renforcement de la construction économique européenne mais appliquent aux entreprises des modèles mal copiés et souvent obsolètes d’un autre continent. Ces mêmes qui oublient que la liberté d’entreprendre chez les Anglo-Saxons s’accompagne d’un contrôle réglementaire scrupuleux et d’une éthique des affaires que la justice n’hésite pas à mettre en application de manière stricte avec des condamnations souvent rigoureuses.7

Il n’en est pas de même en France où — avec regret — on peut craindre par exemple, qu’un rapport pourtant bien clair de la Direction de la Concurrence heureusement ébruité par la presse8 cet été, ne change en rien les pratiques inqualifiables de nos téléphonistes si peu respectueux des règles de la concurrence,
pourtant fondamentales dans un régime de libre entreprise.

« Pourquoi ne pas enseigner les techniques et pratiques de corruption si la référence à une morale de l’action n’est pas jugée nécessaire ou si, après calcul, on peut montrer que transgresser les règles du droit rapporte davantage que de les respecter ? »9

Hubert de La Bruslerie pose bien ici, la question de fond, mais il ne pouvait prévoir que d’aucuns en plus que d’enseigner n’hésitent plus à mettre en pratique, dans l’indifférence générale des « zélateurs de la vertu ».10

Le nombre des entreprises, souvent grandes, et apparemment respectables pratiquant des politiques qui tomberaient sous les coups de la justice chez les Anglo-Saxons est tel, qu’on peut souvent désespérer de l’utilisation en France, des termes « éthique », « responsabilité sociétale » qui sont encore bien souvent des arguments de mauvais « marketing » plus que des pratiques.

Heureux encore lorsque ces méthodes ne se transforment pas elles-mêmes en des pratiques délictueuses !

Nous ne souhaitons pas quant à nous, faire nôtres les travers de nos correcteurs de versions grecques ou latines qui jadis épinglaient discrètement dans la marge de nos copies ces abréviations : CS11
ou plus gravement NS12, pas plus que nous n’épouserons l’« antiaméricanisme » par ailleurs, de bon aloi.

Nous sommes et voulons demeurer à l’écart de toutes les modes, comme nous le rappelions dans notre éditorial d’ouverture de la 40e année de notre revue. C’est donc une recherche originale, fondée sur l’analyse et l’expérimentation que le numéro double « spécial marketing » présente à ses lecteurs.

S’ouvrant par une analyse du « tourisme culturel en Sicile », il comprend en outre, deux gros dossiers thématiques :

– le premier s’intéresse à tous les acteurs pour « comprendre les comportements » ce qui est le fondement d’un bon marketing ainsi que nous l’écrivions précédemment, y compris en « apprenant d’un échec commercial»…

– le second qui poursuit l’analyse du « e commerce » commencée dans notre numéro précédent, s’ouvre comme la « toile » sur des auteurs du monde entier et aura, bien sûr une suite.

Enfin, c’est par un opportun rappel de l’importance de la « politique des petits pas » que se clôt ce numéro de près de 200 pages !

Bonne lecture !

__________________

(1) Sketch de Fernand Raynaud de 1955.

(2) Etude réalisée en face-à-face du 27 novembre au 5 décembre 2003 pour DMLSTV et TF1 auprès d’un échantillon de 500 personnes, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. Méthode des quotas (sexe, âge, activité) et stratification par région et catégorie d’agglomération. http://www.tns-sofres.com/

(3) Fernand Raynaud, 1926-1973.

(4) Belgacom propose toujours un service de mise en connexion manuelle : Allo, je voudrais le 22 à Asnières, DH, la Dernière heure, 30 juillet 2005. http://www.dhnet.be.

(5) Méthode de corsaire à la SNCF, 28 février 2003, communiqué des organisations nationales de consommateurs
signataires : Adéic – AFOC – ALLDC — Asséco-CFDT – CGL – CNAFC – CNAFAL — CNL – CSF – Familles de France – FNAUT – Familles Rurales — INDECOSA-CGT – ORGECO – UFCS – UNAF. http://www.adeic.asso.fr/article_detail.php?article_id=23
; Pour ne citer que cet exemple parmi des centaines.

(6) Christopher Lovelock, Jochen Wirtz et Denis Lapert, Marketing des services, traduit de l’anglais, page 3, 5e édition, Pearson education, 619 pages, Paris 2004.

(7) L’ex-PDG du conglomérat industriel Tyco, Dennis Kozlowski, 58 ans, et son ex-directeur financier Mark Swartz, 44 ans, accusés d’avoir détourné des centaines de millions de dollars des caisses de l’entreprise, ont été condamnés, lundi 19 septembre (2005) à New York, à 25 ans de prison, avec une période incompressible de huit ans »… « La condamnation de M. Kozlowski est la dernière d’une série.
Même si le procès de l’affaire Enron n’a pas encore eu lieu (il est prévu en janvier (2006) au Texas), plusieurs scandales des années 2001-2002 ont connu cet été leur dénouement judiciaire.
En juillet (2005), Bernard Ebbers, l’ex-PDG de l’opérateur télécoms américain WorldCom, a luiaussi écopé de 25 ans de prison pour fraude et complot dans l’affaire de la plus grande faillite de l’histoire des Etats-Unis en 2002. Il devrait commencer à purger sa peine début octobre (2005) dans sa région du Mississippi. En juin (2005) le fondateur du câblo-opérateur américain Adelphia, John Rigas, 80 ans, a été condamné à 15 ans de prison. Inculpés en 2002, John Rigas et son fils Timothy étaient accusés par le ministère de la justice d’avoir « pillé massivement Adelphia, se servant de la trésorerie de la compagnie comme d’une tirelire pour leur famille, aux dépens des investisseurs ». Le Monde, 19 septembre 2005, AFP. Le Monde.fr Les dates entre () sont de la rédaction de La RSG. (8) Rapport de la DGCCRF, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 24 mai 2004 cité par Le Canard enchaîné, n° 4426, 24 août 2005, page 3 et Le Parisien, Aujourd’hui, 24 août 2005, page 10.

(9) Hubert de La Bruslerie (sous la direction), Ethique, déontologie et gestion des entreprises, cité par Hervé Mesure et Jacques Lauriol, L’Ethique d’entreprise : présentation, bilan et interprétations, Humanisme et Entreprise, 204-267,15, page 83, 2004.

(10) Nos lecteurs pourront lire avec intérêt ce rapport définitif de la Chambre régionale des Comptes de Rhône Alpes, en particulier des pages 10 à 22. Ils y comprendront notre désabusement… http://www.ccomptes.fr/crc/votre-region/rhone-alpes/Travaux/lettres-et-rapports_obs/rapports_obs2005/rar200506_universite_lyon_2/RAR200506.pdf, Lyon 15 février 2005.

(11) Contre sens, en général moins 4 points sur 20.

(12) Non-sens.

n°214-215 La Revue des Sciences de Gestion – Spécial marketing

>>« Allo New-York, je voudrais le 22 à Asnières …»

>> Tourisme culturel, nouvel enjeu du tourisme : la Sicile

1er Dossier : COMPRENDRE LES COMPORTEMENTS

>> Management interculturel en Europe
>> Le concept « d’hésitation »
>> L’introduction de l’Euro sur la fixation des prix
>> Prix à terminaison « 9 » et influence du comportement
>> Analyse de la décision multicritères sur le prix de vente
>> Le comportement écologique du consommateur
>> Communication familiale et contribution de l’adolescent
>> Apprendre d’un échec commercial

2e Dossier : COMMERCE ÉLECTRONIQUE

>> L’Internet et les liens relationnels entre entreprises
>> L’épicerie en ligne : les atouts des petits commerces
>> Spécificités de l’internaute des pays en développement
>>Les sites Web bancaire

Hors dossier

>> Coopération logistique et mercatique entre industriels et distributeurs

>> Rubrique des livres (pdf)
>> Infos de la rédaction(pdf)

n°213 La Revue des Sciences de Gestion – Editorial par Philippe Naszalyi – Quand le Journal Officiel montre le chemin…

Quand le Journal Officiel montre le chemin…

par Philippe Naszályi,

Directeur de la publication et de la rédaction.

Il paraîtra peut-être étonnant, à l’orée de ce dossier sur la « stratégie de la gouvernance » dans les entreprises, de s’arrêter sur un des fleurons du secteur public à la française qu’est le Journal Officiel (le JO)[1].

Incarnation du pouvoir de l’Etat, de ses lois et règlements, la Direction des Journaux Officiels, dotée d’un budget annexe voté chaque année par le Parlement, et la SACIJO[2] créée en même temps qu’était instaurée la liberté de la presse en France[3], sont devenues, en quelques années, un modèle de novations sociales et de management responsable.

Près de 1 000 salariés (non fonctionnaires) constituent le personnel de ces deux entreprises de service et d’intérêt général et de missions éminemment publiques[4].

Y développer l’apprentissage, comme cela se fait déjà dans quelques entreprises privées et, bien sûr dans le commerce et l’artisanat, était un pari raisonné et intelligent.

Pari d’abord, parce que, malgré l’évidence, les Elus de tous bords, les gestionnaires publics de tous niveaux rechignent – et c’est pitié – à ouvrir les innombrables métiers possibles dans la fonction publique à des jeunes en formation par le biais de l’alternance.

Les lenteurs, les blocages, la mauvaise volonté, viennent au secours de la lâcheté des hommes de gouvernement, qui préfèrent subventionner à profusion des emplois « parking » associatifs ou autres, des formations elles aussi « parking », que la réforme telle qu’elle a été menée jusque là du LMD[5] , ne fait que ravaler comme le « sépulcre blanchi » des Ecritures, mais surtout sauvegarder pour le plus grand profit des différents professionnels de la formation de tout acabit mais nantis.

C’est le « Tartuffe aux affaires[6] » qui s’est ainsi prolongé.

Pari raisonné et intelligent ensuite, sous l’inspiration et grâce à la ténacité constructive de l’un de ses sous-directeurs[7] rompu en la matière, qui a imaginé que l’on pouvait faire cohabiter dans une institution aussi riche en emplois différents que le JO, des apprentissages variés. Du CAP de restauration au diplôme d’Ingénieur des systèmes d’information en passant par des BTS variés, le JO offre une palette impressionnante de métiers tout en
privilégiant, comme il se doit, son métier cible, la publication de données avec son indispensable adaptation aux techniques de pointe actuelles et en devenir.

C’est la parfaite compréhension des enjeux de l’apprentissage qui ne peut être cantonnée, comme beaucoup se l’imaginent encore, dans des métiers traditionnels et de niveau faible de diplôme, mais bien, à l’instar de nos voisins allemands[8]au cœur même de l’enseignement supérieur et professionnel hautement qualifié.

Gageons que malgré le peu d’empressement de la Presse à valoriser ce modèle, il puisse inspirer enfin le secteur public français sous toutes ses formes, lui qui manque si cruellement de vision prospective dans le domaine du recrutement et de la formation. Car le développement de l’apprentissage constitue toujours une « bataille » qu’il faut mener, comme le prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes le conseille vivement[9].

Mais, loin de s’arrêter en si bonne voie, le JO est devenu également un modèle pour la formation de son personnel, en particulier dans l’application du Droit Individuel à la Formation (DIF). Peut-être parce que c’est sous ses « presses » que le premier exemplaire de la loi qui institue ce droit novateur[10] est apparu, que le JO a ouvert depuis le 1er janvier 2005, avant même que la loi ne le rende obligatoire, le DIF à ses salariés.

Rappelons que la loi prévoit un crédit de formation de 20 heures par année, cumulables sur six ans pour atteindre un maximum de 120
heures. Au JO, les salariés peuvent bénéficier par anticipation, dès la première année, d’une enveloppe de 60 heures de formation. L’entreprise a elle-même défini les actions prioritaires suivantes : techniques de communication, langues, développement personnel, cours par correspondance, préparation à la retraite et culture générale. Ces dispositions ont fait l’objet d’un accord signé mi-février 2005 avec les partenaires sociaux.

Il est encore trop tôt, contrairement à la mise en place de l’apprentissage, pour tirer un premier enseignement de cette action[11].

Notons encore que pour s’assurer du bon relais de l’information à propos du DIF à l’ensemble de l’entreprise, une session de formation
a été dispensée dès septembre 2004 à tous les chefs de service et à tous les membres de la Commission paritaire de formation professionnelle. Les cadres intermédiaires chargés de l’application du
nouveau dispositif ont été formés à leur tour au début de l’année.

N’est-ce pas cela aussi mettre en place une politique responsable ou tout simplement : « une stratégie de la gouvernance » ?


([1]) http://www.journal-officiel.gouv.fr/

([2]) SACIJO, Société anonyme de composition et d’impression des Journaux officiels, fondée en 1881.

([3]) Loi du 28 juillet 1881.

([4]) Les missions des Journaux officiels :

la Direction des Journaux officiels est chargée de l’édition et de la diffusion des textes législatifs et des principaux textes
réglementaires, de leur organisation en banque de données et de l’édition de débats parlementaires et annonces légales sur support papier et numérique.

([5]) LMD : abréviation pour Licence, Mastère, Doctorat, c’est-à-dire, l’application de la réforme européenne des accords de
Bologne dans la France du « post-bac ».

([6]) Kaltenbach, Pierre Patrick, Tartuffe aux affaires, génération morale et honneur politique – 1980-2000- Les éditions de
Paris, 2001.

([7]) Patrick Butor a été nommé depuis avril 2005, Directeur de la Population et des Migrations au Ministère de l’emploi, du travail et
de la cohésion sociale.

([8]) Hugonnier René, « Quand nous savons mieux que les Allemands former des apprentis » Direction et gestion des entreprises, page 9, n° 134, 1992.

([9]) Cambon Christian et Butor Patrick « la bataille de l’apprentissage » : une réponse au chômage des jeunes « préface
de Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel de physique, Descartes et cie, Paris 1993.

([10]) Loi n° 204-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social

([11]) Pour tout complément d’information ; Sacha Lauzanne : téléphone : + 33 (0)1 40 58 75 04 ; télécopie
+ 33 (0)1 45 78 99 39 ; courriel : sacha.lauzanne@journal-officiel.gouv.fr

n°213 La Revue des Sciences de Gestion – Stratégie de la gouvernance

Editorial (pdf)
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Dossier : Stratégie de la gouvernance
>> Histoire et mémoire de la pensée stratégique
>> Changement stratégique et gouvernance
>> Le modèle de création de valeur « EVA-MVA »
>> Cumul des fonctions dans les conseils d’administration
>> Génération et transfert de connaissance
>> Approche culturelle des rapports entre Tunisiens et Occident
>> Mesure de la performance d’une alliance

Hors dossier
>> Prise de décision d’achat au sein du couple

> L’attitude à l’égard d’Internet : la vente de disques

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n°211-212 La Revue des Sciences de Gestion – Editorial par Philippe Naszalyi – 40 ans…

40 ans…

par Philippe Naszályi,
Directeur de la rédaction et de la publication

Vous avez dit : « responsable… »

Nous avons choisi de consacrer ce 1er numéro de la 40e année à l’éthique de la responsabilité…

Le « management responsable » doit être étudié, analysé, mis en pratique, … avec tout ce qui caractérise nos propresconceptions de l’entreprise et de la société que nous vivons mais aussi que nous voulons.

Cela ne peut, cela ne doit pas être d’abord une pâle copie de ce que l’on pratique Outre Atlantique voire Outre Manche.

Non que ces méthodes soient condamnables en soi, mais bien parce qu’à la suite de Montesquieu, Aristote, Hippocrate, … nous pensons
qu’il existe réellement une théorie des climats, (1) que Max Weber a admirablement, et, à mon sens, fort bien décrite ce qui fait la particularité du capitalisme anglo-saxon (2) qui malgré tous les « thuriféraires de la décadence » n’est pas le nôtre !

Ce n’est pas critiquer les Américains, et l’actualité très récente le montre bien, que de considérer que le proverbe « right or wrong, my country » (3) continue d’avoir un sens pour eux, alors qu’il est incompréhensible pour un Français. C’est ce que l’on appelle tout simplement le management interculturel dans la lignée de Geert Hofstede. (4)

Les codes éthiques d’Enron, de Wordcom, les arrangements financiers de la justice californienne dans la fâcheuse affaire du Crédit
lyonnais et consorts sont là pour nous rappeler que justice, éthique, morale n’ont pas tout à fait le même sens des deux côtés de l’Atlantique !

Bon nombre de notations éthiques pour les « investissements responsables » qui y sont pratiquées, encore que la mode (c’est-à-dire le manque d’idées) nous  les apporte de plus en plus, n’ont normalement aucun sens pour nous : alcool, tabac, violence, sexe, …Ces notations, ces engagements sont souvent là pour satisfaire aux relations publiques et au marketing des groupes de pression internes plus qu’à un engagement réel des sociétés.

Il y a même souvent duplicité, tromperie, à mettre en place des politiques industrielles et commerciales qui ne visent qu’à contenter les puissants du moment, avec un management en fait totalement, « irresponsable » à moyen ou long terme. Cette pratique a déjà ses émules en France, depuis quelques années, aussi bien dans certaines grandes entreprises privées que dans le management directorial de certaines entreprises publiques ou semi publiques… les télécommunications naguère, les chemins de fer aujourd’hui. L’utilisation du  mot éthique dans les affaires, la pseudo recherche de satisfaction des « usagers/clients » masquent l’absence totale et réelle de morale de certains dirigeants  qui sacrifient de très belles entreprises à leurs soucis carriéristes.

Ce n’est évidemment pas cela que nous appelons le Management responsable et qui constitue un très complet et copieux dossier de ce
numéro double qui ouvre cette année anniversaire.

Ce dossier est le fruit d’une collaboration étroite entre notre rédaction et les organisateurs d’un colloque sur ce thème en 2004, à
Lyon, l’ESDES.

Comme le souligne Philippe de Woot dans un ouvrage récent et remarquable : « en matière d’éthique, l’évolution culturelle consiste à développer celle-ci comme une pensée qui imprègne les différents niveaux de l’entreprise et chacune de ses fonctions : finance, marketing, recherche, etc. » (5)

Dans cet esprit, nous avons sélectionné les meilleures contributions à ce Colloque et notre Comité scientifique de Lecture a effectué, comme à chaque fois, le choix final pour ne retenir que les articles que nous présentons ici.

La Revue de recherche… libre :

Permettez-moi de saluer ceux qui contribuent à faire de notre revue à la fois la référence académique dans la recherche managériale,
mais aussi à préserver son indépendance.

Qu’il me soit permis un mot particulier pour le Professeur Pierre Lassègue alors professeur à la faculté de Droit de Paris et Directeur de l’Institut d’administration des entreprises qui faisait parti du comité de patronage du premier numéro. Devenu depuis professeur émérite à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, il est à l’heure actuelle toujours  un éminent  et efficace membre du Comité Scientifique de Lecture présidé par Alexandre Baetche, lui aussi professeur à la Sorbonne, et qui ne compte jamais son temps et son action de directeur et d’âme du comité.  Il n’est pas possible de citer tous ceux qui furent du comité de patronage de la revue :

Universitaires, comme le Doyen Georges Vedel, le professeur Pierre Tabatoni de l’Université de Paris IX Dauphine, aujourd’hui membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, Jacques
Lesourne
qui présida ensuite aux destinées de notre confrère Le Monde ;

Grands commis de l’Etat, comme Pierre Massé, Commissaire au Plan, François Bloch- Lainé qui présida aussi aux destinées du Crédit lyonnais ou François Xavier Ortoli, qui fut également Ministre des Finances mais également président de la Commission européenne ou Olivier Giscard d’Estaing qui dirigea aussi le comité de perfectionnement de l’INSEAD ;

Grands patrons, comme Paul Huvelin, président du CNPF, Arnaud de Vogüe, Président de Saint-Gobain ; Gérard Chevalier, PDg de Cybel, mais aussi, et on leur réservera une attention particulière, Marcel Boiteux qui présida aux destinées d’EDF GDF après Pierre Massé, mais  avant, Pierre Gadonneix qui s’occupait alors de la rubrique stratégie et structure de la revue et qui est devenu depuis
président de GDF puis d’EDF…

Syndicalistes, comme G. Nasse  Secrétaire Général de la Confédération Générale des Cadres

Comme toutes les énumérations, celle-ci n’échappera pas à la règle des oublis que l’on ne me pardonnera pas… Citons pourtant encore
parmi les membres du comité de patronage ou du comité de rédaction : Michel Fitoussi, chargé des modèles économiques et dont on connaît la carrière…, Jean Bénassy, ingénieur général, qui avait en charge les questions de production et dont on retrouve des papiers recherche très récents, Henri Moingeon qui dirige la
recherche à HEC…

Rappelons bien que direction et gestion des entreprises est  née, en mars 1965,  de la volonté de Roger Labourier et de l’Institut de Contrôle de Gestion (ICG), devenu Institut Français de Gestion (IFG) et qu’elle a conquis son indépendance complète, depuis 1985, grâce à son rédacteur en chef d’alors, Jean-Pierre Gravier.

Nous n’appartenons de près ou de loin à aucun groupe financier, à aucun groupe d’entreprises, à aucune académie, aucune association,
aucune  fondation…

Nous n’avons aucune dépendance d’aucune école, université, groupe de pression ou coterie …

En un mot, et pour paraphraser le plus grand des Français du siècle dernier, nous n’appartenons à personne car nous
appartenons à tous
,… c’est-à-dire à  la Recherche managériale, riche, diversifiée, ouverte aussi bien aux  jeunes chercheurs qu’aux plus reconnus, aux hommes d’entreprise pour que la revue puisse « offrir à l’ensemble des Cadres de Direction, une publication qui fasse une synthèse utile également au spécialiste » comme Roger Labourier l’écrivait en 1965 (6) avec les obligations et les contrôles d’une véritable société de presse que nous sommes depuis l’origine.

Comme Michel Berry l’écrit,  nous appartenons à ceux qui «  en France et à l’étranger… pensent qu’il y a des voies fécondes en dehors du mainstream américain. » (7)

Généraliste, mais toujours référence dans chacun des domaines traités, la revue s’est étoffée, internationalisée. Elle est devenue la
référence francophone dans tous les domaines de la recherche et de la pratique managériales, tant pour les entreprises que pour les organisations au sens le plus vaste.

C’est sur le site de recherche universitaire et américain www.proquest.com de Abbi inform que nous comprenons toute la responsabilité  internationale qui est la nôtre.

C’est pour rendre cette action et cette présence internationales plus lisibles que nous sommes devenus La RSG, La Revue des Sciences de Gestion, en conservant bien entendu notre titre originel, direction et gestion des entreprises.

Publier la recherche managériale en français, c’est-à-dire les travaux de chercheurs qui pensent que la culture francophone et européenne a un sens, quel que soit le pays auxquels ils appartiennent ou dans lequel ils travaillent sont une vaste et difficile mission.

La gestion : instrument au service de la domination géopolitique.

Le mot n’est pas trop fort en effet, puisque, comme le montre si bien notre confrère Michel Berry, qui s’opposait à juste titre au classement surprenant et dénué de bon sens des revues, fait par une commission Théodule  du CNRS  faisant la part belle aux revues américaines et plaçant en 4e catégorie, les revues françaises pour autant qu’elles étaient nommées !

Citons encore,  le directeur de Gérer et Comprendre : « Comme beaucoup, j’ai été abasourdi par le classement des revues d’économie et de gestion publié récemment par la commission 37 du CNRS : comment peut-on à ce point nier l’identité du CNRS et est-ce vraiment le moment de s’aligner, en gestion, sur les nonnes dominantes américaines, alors même qu’elles sont l’objet de remises en cause aux USA ? » (8)

Comme nous ne recevons pas de subventions de ce comité, d’ailleurs composé essentiellement de personnes qui ne font pas de gestion…
notre revue n’est jamais classée…

Avec humour, ces doctes apôtres de la recherche publique se  retrouvent aux côtés de Libéraux de tout bord qui ont déjà admis, selon les mots de Léon Bloy, l’auteur impérissable du « Salut par les Juifs » (9)  que leur adversaire a raison et qu’il vaut mieux passer avec armes et bagages à l’anglo américain et à ses pratiques entrepreneuriales. (10)

Sans aller jusqu’à lancer l’anathème, rappelons-nous ce qu’écrivait déjà en 1927 Julien Benda ; « La loi du clerc est, quand l’univers entier s’agenouille devant l’injuste devenu maître du monde, de rester debout et de lui opposer la conscience humaine. »
(11)

« Le parti de l’Etranger » n’est jamais vraiment mort…

Que dire des gouvernements successifs : Qui du Ministère de la Culture et de la Communication arc-bouté sur les « arts » ou
le  Ministère de la Recherche, plus archaïque encore dans son positivisme scientiste, ne comprend pas que « Les Etats-Unis consolident leur domination à travers le savoir en science managériale », comme le rappelle si bien Jean-Claude Thoening qui ajoute : «  De même que leurs normes comptables s’imposent à ous les pays, la formation en gestion devient géopolitique. » (12)

Il existe bien une idéologie gestionnaire telle que la décrit pour la stigmatiser Vincent de Gauléjac  dans un très récent et très roboratif ouvrage. (13)

Sans partager toutes ses convictions, il faut être conscient que, dans une économie mondialisée, la recherche managériale est bien un
enjeu de domination  et que la première chose offerte par George W. Bush aux Irakiens consiste en  des bourses d’études en gestion aux Etats-Unis. (14)

Comme le rappelle encore Jean-Claude Thoenig : «  ce sont les rentes académiques (qui) induisent des rentes financières. » (15)

La Recherche en gestion : outil de management interculturel

Plus pragmatiquement, nous relevons ce que  souligne avec justesse Richard D. Lewis, « la question vitale est de savoir comment l’esprit est culturellement conditionné… » (16) aussi  pensons-nous que le management interculturel signifie d’abord qu’il existe une coexistence des cultures, y compris dans celui de la gestion des entreprises.

La langue est à l’évidence un des éléments déterminants, il est donc indispensable, que promoteur d’une pensée managériale
euro-méditerranéenne, La Revue des Sciences de Gestion,
bien que fondamentalement et intrinsèquement  francophone, cherche à
développer son audience auprès de publics toujours plus variés et souvent non francophones.

A partir de ce numéro, les articles sélectionnés et publiés seront précédés, non seulement de résumés en anglais comme cela était le
cas depuis fort longtemps, mais également dans la langue de Cervantès dont nous célébrons cette année aussi l’anniversaire.

Bâtir la recherche managériale euro méditerranéenne, non pas contre les autres cultures mais à côté et en collaboration avec elles, en
particulier l’anglo américaine, tout en demeurant certains de son droit à l’existence propre, originale  et autonome, est notre but depuis
1965.

Faire commencer cette année anniversaire par un dossier sur le management responsable  et ses implications, voilà qui me conduit à  laisser conclure Julien Benda : « il existe des hommes qui veulent unir les peuples, des hommes qui pensent à “faire l’Europe”. Je ne m’adresse pas à tous. Parmi ces hommes certains cherchent ce que l’Europe devra faire pour exister dans l’ordre politique, d’autres dans l’ordre économique, d’autres dans l’ordre juridique. Je n’ai point qualité pour retenir leur audience. D’autres pensent à la révolution qu’elle devra accomplir dans
l’ordre intellectuel et moral. C’est à ceux-là que je parle. »

« Bien entendu, je ne viens pas nier les graves transformations économiques que l’Europe devra réaliser pour se faire. Je dis que ces transformations ne lui seront vraiment acquises, ne pourront être tenues pour stables que lorsqu’elles seront liées à un changement profond de sa moralité, de ses évaluations morales. »

(1) Hafid – Martin (Nicole) : Evolution et critique de la théorie des climats à travers le XVIIIe siècle en France. Du déterminisme géographique à la liberté politique. Acura di Paolo Quintili – quintili@lettere.uniroma2.it (2001).

(2) Weber (Max) : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Erfurt (1904-1905), traduction française, Gallimard (2003).

(3) cité par  Fèvre (Jean-Marie) : Manuel de gestion interculturel. Sarreguemines (2004).

(4) Hofstede (Geert) :Culture’s Consequences, Comparing Values,
Behaviors, Institutions, and Organizations Across Nations
Newbury Park, CA: Sage Publications (1980) ; 2nd Edition; (2003)- édition renouvelée et enrichie de l’édition de 1980, Culture’s Consequences : International differences in work-related
values
.

(5) Woot (Philippe de) : Responsabilité sociale de l’entreprise. Faut-il enchaîner Prométhée ?
Economica, Paris (2005).

(6) Labourier (Roger) : Direction et gestion des entreprises. N°1, mars-avil 1965

(7) (8) Berry (Michel) : Classement des revues : le CNRS va-t-il perdre son âme ? Lettre ouverte au CNRS.
(2003)

(9) Bloy (Léon) : Le Salut par les Juifs. Paris, Adrien Demay, 1892, iii-143 p. Édition nouvelle revue et corrigée par l’auteur, Paris, Victorion, 1906, vii-163 p.

(10)  voir la démission de Thomas Legrain,  PDg de Coach’ invest, de l’association des diplômés de l’ESSEC dont il était le vice-président.  A la suite de son article dans les Echos,  4 mars 2005 (Grandes écoles de gestion : oser le débat ! ).

(11) Benda (Julien) :La  Trahison des clercs, Paris (1927). Julien Benda dénonce la capitulation des intellectuels français.

(12) Thoenig (Jean-Claude) : Décider, gérer, réformer. Les voies de la gouvernance. Revue Sciences humaines, n° 44 (hors série), mars-avril-mai 2004.

(13) Gauléjac (Vincent de) : La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social. Seuil, Paris (2005).

(14) Thoenig (Jean-Claude) : ibid.

(15) Thoenig (Jean-Claude) : ibid.

(16) Lewis  (Richard D.) When Cultures Collide : Managing Successfully Across Cultures; Published by Nicholas Brealey,
Londres (1996) 2ème édition ( 2001).

(17) Benda (Julien) : Discours à la nation européenne. Gallimard, Paris (1933)