« Les faits. La nouvelle gamme Carrefour Discount est en rayon depuis 6 semaines […], le succès commercial est réel. Au point d’inquiéter sur la baisse de rentabilité… » comme l’évoque, dans sa Tribune Grande Conso, Olivier Dauvers sous le titre « Vive la… destruction de valeur ».
Incohérence des genres entre les modèles de distribution pourrait-on dire… revenons en arrière.
La raison d’être du commerce moderne – dont Carrefour est le plus grand représentant depuis 1959 – a toujours été de servir au mieux ses clients, pour soutenir de ce que l’on appelle aujourd’hui le pouvoir d’achat.
L’augmentation de la valeur offerte au chaland devait se faire sur des produits de marque ou bien sur des produits d’un niveau de qualité équivalente, pour un prix toujours plus bas grâce à l’accroissement de la productivité. Sur les traces des colporteurs d’antan, allant chercher ce qu’il y avait de meilleur pour le mettre à disposition de ses clients, on comprend ainsi l’origine du positionnement « qualité » que cette enseigne défendait. On en retrouve la trace aujourd’hui encore avec le slogan : « La qualité pour tous ».
Les distributeurs, dont E. Leclerc est le chef de fil, visaient la plus faible marge possible pour des produits de marque – et seulement de marque, du moins au début, puisque les prix étaient connus et donc comparables – en jouant évidemment sur la rotation des stocks. Cela explique son positionnement « prix », justifiant l’importance de la ligne logistique de cette enseigne. Edouard Leclerc ne défendait-il pas l’adage : « distribuer, c’est acheter moins cher pour vendre moins cher ».
En d’autres termes, les premiers cherchaient à faire progresser les fournisseurs et vendre des produits au meilleur prix alors que les autres distribuaient des marques au moindre coût ! A-t-on oublié dans les enseignes à ce point la différence des genres et de ce qui fait le ressort du « combat pour la distribution »* !
Lorsque Carrefour faisait mieux que Carrefour
Depuis les années 50, on évoquait aux Etats-Unis « un bon produit, au meilleur prix » en cherchant à réaliser l’offre la plus compétitive pour un prix attractif.
Dans cette veine, en 1976, Etienne Thil – alors premier directeur marketing et communication de Carrefour – sera le défenseur de cette indémodable maxime. Il est vrai qu’il suivait alors les traces de son mentor, le « Pape » du commerce moderne : Bernardo Trujillo.
Lui qui était ancien journaliste, et avait pourtant travaillé à faire connaître les centres distributeurs E. Leclerc, connaissait ces subtilités et, devenu « grand prêtre » du commerçant Carrefour, lancera un véritable pavé avec les produits libres. Aurait-il soutenu la vision actuelle de l’enseigne et ses Carrefour Discount? Sans doute pas.
Chose dont on peut être sûr, c’est qu’il n’aurait jamais validé des produits comme simple choix de positionnement face au hard discount.
La destinée de Carrefour, avec son ¼ d’heure d’avance, n’a jamais été de suivre les positions concurrentielles mais de montrer le chemin à suivre en tant que chef de fil…
Alors, ne comparons plus Carrefour Discount, comme on l’entend ici et là, à ce qui fut l’innovation marketing indéniable des produits libres. Le positionnement stratégique, la philosophie même de ces produits est toute autre. Et le fait que les clients continuent à suivre le chemin des prix ne justifie en rien cette destruction de valeur. Qui peut le plus pour le moins est condamné à réussir…
Il existe pourtant une autre possibilité, une autre direction à suivre pour le futur. Son inspiration peut venir en relisant les propos de Denis Defforey, l’un des fondateurs de Carrefour, lorsqu’il présentait des produits libres aux magasins, en février
1976 :
« Ne pas perdre l’objectif de la campagne :
– Ce n’est pas de vendre 50 articles.
– Ce n’est pas seulement d’avoir plus de clients.
– C’est de changer l’image de Carrefour.
– Et la meilleure façon de changer l’image de Carrefour c’est de changer la réalité. »
et d’ajouter ensuite :
« Il faut innover […] pour être différent de nos concurrents,
– pour reprendre le leadership,
– pour être utile à la communauté.
– Le profit nous sera donné de surcroît.
– Nous sommes loin de la biscotte ou de la lessive…
– Nous sommes à l’aube d’un nouveau combat.
– J’ai le moral.
– Nous avons une morale ».**
* Etienne Thil, Combat pour la distribution, D’Edouard Leclerc aux supermarchés, Arthaud,
Paris, 1964, et préfacé par Alfred Sauvy, 224 p.
** Script de Réunion d’information, février 1976, archives détenue par l’association Etienne
Thil. Les parties soulignées sont reprises à l’identique de l’original.
“Carrefour redevient Carrefour”, archives de 1976 détenue par l’association Etienne Thil.