Modifié le 30 mai 2014.
Lettre ouverte à tous les économistes insatisfaits de l’orientation académique
et intellectuelle de leur discipline
Cher(e)s collègues,
Nous, économistes universitaires et professionnels, sommes de plus en plus nombreux à déplorer l’orientation académique et intellectuelle qu’a prise notre discipline depuis plusieurs années. Le
constat est désormais préoccupant et signifie à plus ou moins brève échéance la fin du pluralisme dans la pensée économique et, par là même, l’absence de tout débat économique.
Le constat est désormais accablant : ossification des canons de la scientificité autour de normes extérieures à
toute interrogation proprement économique (promotion des publications dans les revues au détriment des ouvrages; disqualification des travaux en langue française; confrontations empiriques
bornées aux seuls tests économétriques) ; abandon de tout débat théorique ou méthodologique dans un champ qui pouvait s’enorgueillir d’avoir connu de grandes controverses scientifiques ; danger
d’annexion des autres sciences sociales par une science économique définie comme un ensemble de techniques « éprouvées » (théorie des jeux, économétrie) en lieu et place d’un dialogue véritable
entre les disciplines ; incapacité de l’économie dominante à proposer une lecture du monde susceptible d’éclairer et de nourrir le débat démocratique. Cette réduction de la recherche à la seule
technique, au détriment de toute réflexion critique, s’accompagne d’un appauvrissement des enseignements « officiels », qui nous conduits à nous cacher derrière d’autres disciplines, pour
continuer, malgré tout, à attirer des étudiants dans les amphis de nos universités…
Cette orientation est inacceptable, mais il faut garder à l’esprit qu’elle n’a rien d’irréversible. Sur le plan
académique, elle est conduite par une fraction très structurée du champ disciplinaire qui fait face à une multitude hétérogène et peu organisée, laquelle, pour l’essentiel, subit cette situation
en résistant comme elle peut, parfois en fuyant la discipline et ses réseaux officiels. Devant la crise économique et environnementale majeure qui affecte désormais nos sociétés, la faiblesse
visible des économistes proches des ministères et des médias devrait être le signal pour que se déploient d’autres discours économiques. Mais les inerties sont telles que rien ne semble bouger
vraiment. Tant que cette situation durera, le processus de déculturation de notre discipline continuera, avec les conséquences sociétales et politiques que l’on sait. Nous pensons qu’il est
encore temps de s’en sortir, mais à une condition nécessaire (dont rien ne dit qu’elle sera suffisante) : il faut se compter et s’organiser pour se constituer en acteur collectif et essayer de
reprendre en main notre avenir.
Cette année, plusieurs économistes de sensibilités théoriques et méthodologiques différentes, mais profondément
insatisfaits de la situation actuelle, ont décidé de créer une association professionnelle pluraliste et ouverte, l’association française d’économie politique.
Notre association se donne pour objectif la construction, la consolidation et la promotion d’une analyse économique
pluraliste quant à ses problématiques, ses référentiels théoriques et ses méthodologies dans le champ académique, c’est-à-dire d’une analyse économique qui ne viserait pas à l’hégémonie, mais qui
s’affirmerait d’emblée ouverte à la collaboration interdisciplinaire avec les autres sciences de l’homme et de la société. Nous entendons ainsi renouer avec l’esprit du projet inaugural de «
l’Économie politique », entre philosophie politique et sciences sociales. Ce projet intellectuel est aujourd’hui largement dévoyé par les tenants technocratiques d’une « Science économique » qui,
se voulant l’égale des Sciences de la Nature, s’est progressivement rendue inapte à satisfaire l’exigence de la tenue d’un discours pertinent – pour la connaissance et pour l’action – sur les
économies capitalistes telles qu’elles fonctionnent concrètement. Cette association entend faire collaborer davantage et mieux tous les courants d’analyses critiques qui partagent cette exigence,
comme par exemple la théorie postkeynésienne, la théorie marxiste, la socio-économie, l’économie des conventions, l’économie sociale et solidaire, la théorie de la régulation, les théories
institutionnalistes, l’économie autrichienne, la critique de l’économie politique – cette liste n’ayant rien d’exhaustif. Mais aussi, et peut-être surtout, elle a vocation à offrir un ancrage
collectif à tous les économistes éclectiques qui combinent différentes approches conceptuelles en fonction des objets qu’ils étudient et qui donc ne se reconnaissent pas dans le formatage
disciplinaire du monisme théorique dominant.
Plus largement, cette association entend défendre et développer, dans les institutions publiques de l’enseignement
supérieur et de la recherche et par tous les moyens appropriés, les valeurs intellectuelles du pluralisme et de la critique qui sont au cœur de l’Université et de sa mission qui est de contribuer
au débat politique au sein de la Cité.
Cette association est ouverte à tous ceux qui sont insatisfaits de la situation actuelle et veulent agir
collectivement pour en sortir par le haut. Pour se développer, elle a besoin de chacun et chacune d’entre vous. Nous pensons que nous sommes nombreux, beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense,
mais que nous sommes impuissants parce que dispersés et sans stratégie collective. Organisés, nous constituerons une force avec laquelle il faudra compter dans le paysage académique et
intellectuel. Nous vous invitons donc à la rejoindre au plus vite.
Parce qu’il fallait bien commencer, cette association fonctionne déjà avec un bureau et un CA. Mais ce
fonctionnement n’est pas gravé sur une table d’airain et c’est tous ensemble que nous la développerons. Le jeudi 17 décembre à 18h30 se tiendra à la salle du 6e étage de la Maison des Sciences
Economiques de Paris la première Assemblée générale de l’Association française d’Économie politique. Les promoteurs du projet présenteront leur démarche, présenteront les axes de travail et
accueilleront tous les nouveaux membres, pour discuter ensemble des projets destinés à animer ce renouveau de la profession.
En espérant nous compter nombreux et déterminés,
Bien cordialement
Les initiateurs du projet : Bernard Chavance, Olivier Favereau, Alain Caillé, Florence Jany-Catrice, Agnès
Labrousse, Thomas Lamarche, Dany Lang, Edwin Le Héron, Sabine Montagne, André Orléan, Claire Pignol, Nicolas Postel, Gilles Raveaud, Richard Sobel, Bruno Tinel, Fabrice Tricou
Bureau et CA : Président (André Orléan), Vice-présidents (Agnès Labrousse, Edwin Le Héron, Richard Sobel),
secrétaire (Bruno Tinel) et Trésorier (Claire Pignol)
Contact : Bruno Tinel (btinel@univ-paris1.fr) ou Richard Sobel (richard.sobel@univ-lille1.fr)
Adhérez dès maintenant, en consultant le site (en cours de construction) ci-dessous :