n°321-322 – Éthique et/ou Ordre moral ?

Modifié le 28 novembre 2024.

Le Monde des affaires, comme celui de la politique ont tendance, sous l’inspiration du pays de la prohibition, de la ségrégation raciale et du maccarthysme, à épouser les modes qui passent.

Peut-on alors classer l’utilisation du mot « éthique » dans cette catégorie des pensées qui passent avec d’autant plus de facilité qu’elles sont accolées à des réalités antithétiques.

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Les affaires, c’est aussi l’expression pour désigner les points les moins honnêtes d’une situation politique, économique, juridique. Les Panama papers en 1976, sont un amusant clin d’œil éponyme au scandale de Panama (1891-1892) qui éclaboussa, outre Ferdinand de Lesseps et Gustave Eiffel, plus de 100 parlementaires français qui avaient touché de l’argent : « les chéquards », et parmi eux, le futur « Père la Victoire », Clemenceau !

Les Panoma papers, après les Pantagone papers de 1971 et avant les Pandora papers de l’automne 2021 sont ces révélation d’une certaine presse au nom d’une morale, de la morale (?), un ensemble de principes éthiques qui séparent les bons et mauvais comportements des organisations !

Mais, dans un univers où le principe du profit illimité et de la mesure par l’argent de tout ou presque, il est comique de chercher appui sur la morale pour se justifier ! Ne serait-ce pas au fond une vaste Tartufferie entre membres de la même caste ! Il n’y a en fait qu’une différence de degrés entre l’argent gagné honnêtement comme tous les contes le rapportent et celui qui provient d’une spéculation, d’une découverte ou de différents moyens. Il y a une hypocrisie extrême à parler d’argent « sale » ou « propre » comme si celui-ci dont on sait qu’il n’a pas d’odeur, était d’une quelconque différence sur un compte en banque ou en monnaie sonnante et trébuchante. Seul un « ordre moral » peut définir de manière claire, mais par nature contextuelle et circonstancielle, ce qui peut se faire et qui ne le peut pas ! Or la pensée néolibérale qui prévaut depuis que les Chicago boys ont popularisé, il y a 50 ans, les théories friemanniennes grâce au Chili de Pinochet, a proclamé haut et fort que « l’État est le problème », par la voix de son plus célèbre tenant que fut Ronald Reagan[1].

Disciple de l’école autrichienne L. von Mises[2] qui serait Ukrainien aujourd’hui ou de F. Hayek[3], le Président américain, tirait sa conviction individualiste et antiétatique, non pas seulement, de la reine de « l’égoïsme rationnel » qu’était Ayn Rand[4], mais aussi d’un penseur du XIXe siècle, français de surcroît, Fréderic Bastiat[5].

« Quels sont les peuples les plus heureux, les plus moraux, les plus paisibles ?

Ceux où la loi intervient le moins dans l’activité privée ; où le gouvernement se fait le moins sentir ; où l’individualité a le plus de ressort et l’opinion publique le plus d’influence[6] ».

L’opinion publique, voilà bien un critère qui sorti des idées du siècle des Lumières peut également déboucher sur les pires « chasses à l’homme » : les lynchages (autre mot américain), les hurlements : « à mort », entendus aussi bien au passage des charrettes de condamnés, auprès des buchers des sorcières, ou des différentes manifestations, avec leurs variantes racistes, sexistes ou religieuses parait bien fragile pour établir une morale et établir « l’ordre spontané » que prône Bastiat !

John Locke, un siècle auparavant n’a pourtant pas dit autre chose en affirmant que « cette approbation ou cette désapprobation, cette louange ou ce blâme, qui par consentement tacite et secret s’installent en diverses sociétés, tribus et associations humaines à travers le monde : des actions y acquièrent crédit ou disgrâce, selon le jugement, les normes ou les habitudes du lieu[7] ».

« Normes et habitudes du lieu », sorte de Théorie des climats, voilà bien le sujet de difficultés qui fait que l’opinion publique, versatile, ne repose pas sur des valeurs intangibles mais qu’elle fluctue au gré de ses sympathies. Celles-ci peuvent être orchestrées par des campagne de médias plus ou moins honnêtes.

Or si la mesure de toute chose est la propriété qui naît de la possession des biens et de l’argent, il n’est nullement impossible que la presse, les médias d’opinion, voire les influenceurs ou quelle que puissance étrangère manipulent cette opinion.

Adulé un jour, vilipendé le lendemain sont des situations que nous observons très fréquemment !

On assiste alors, et ce n’est pas le moindre paradoxe de ces libéraux, parfois même libertariens, qui ne veulent aucune règle mais ne supportent pas non plus l’anarchie et le désordre !

Pinochet un temps, tout comme Xi Jinping depuis 20 ans sont autant de personnages dont les politiques sont agréées par R.

Reagan ou son successeur G.W. Bush. Ce n’est pas là non plus le moindre des paradoxes de l’éthique.

Sans transcendance, il n’est guère d’intangibilité des règles morales, comme le soulignait avec justesse Chateaubriand, mais là aussi, il semble que les moeurs évoluant, les choses ne soient pas si simples. Ceux qui acceptèrent qu’on brûlât des hérétiques sont désormais des tenants de l’abolition de la peine de mort et les pacifistes hindous font de nos jours les pires exactions contre les chrétiens ou les musulmans de leur pays !

À qui donc et à quoi se fier pour établir une éthique en particulier dans le mouvant monde des affaires ?

Qui fait donc la loi ? L’Autorité, comme le prône Hobbes, Auctoritas, non veritas, facit legem[8], mais quelle autorité ?

Pas celle de l’État qui doit être minimaliste, si l’on s’en réfère aux Libéraux qui prôneraient plutôt : Veritas non auctoritas facit legem[9] ! Vérité pour faire la loi, mais quelle vérité ?

Celle des mouvements hiératiques de l’opinion publique plus ou moins manipulée ou celle de ses innombrables conseils, comités, ce que l’on appelle l’« État de droit » qu’il institue dans la plupart des démocraties, à l’imitation de la Cour Suprême étasunienne, avec plus ou moins de bonheur !

Mais là aussi, qui compose ses conseils et autres cours plus ou moins suprêmes ? Les exemples tant aux États-Unis qu’en France, avec le pitoyable Conseil constitutionnel depuis les nominations en son sein de ministres en plein exercices de mandat ou des premiers ministres particulièrement concernés par des lois, après leur exercice sont là pour monter que l’absence de vertu des Dirigeants porte une grave atteinte à la crédibilité de ces super structures chargées de définir le juste et le bien et de censurer l’injuste et le mal !

Et pourtant, nous semblons depuis le Bill of Rights de 1689 et les nombreuses Déclarations des Droits qui s’en sont suivies, définir un ensemble de lois nées du « jus naturale » fondé sur l’égalité. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée[10] » comme le proclame déjà Descartes. Le deuxième axiome semble être celui de la conservation de la vie… pour ne citer que les premières lois naturelles qui semblent proclamées par la pensée occidentale. Et F. Bastiat d’ajouter toujours dans La Loi, « Ce n’est pas parce que les hommes ont édicté des Lois que la Personnalité, la Liberté et la Propriété existent.

Au contraire, c’est parce que la Personnalité, la Liberté et la Propriété préexistent que les hommes font des Lois. « C’est aussi sur cette vérité là que s’ouvre la Déclarations de 1789 : « considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics. » Si l’on a oublié c’est ce que cela préexistait de tout temps ! Rien qu’à leur énoncé, nous comprenons toutefois toute la difficulté de leur interprétation et même de leur acceptation.

Doit-on alors encore s’intéresser à ce sujet insaisissable, indéfinissable et fluctuant pour ne pas dire polémique qu’est l’éthique ?

Et bien oui, nous l’avons osé. Sans en méconnaître la difficulté, grâce à une contribution d’articles que j’ai délégué à un rédacteur en chef invité, nous ne nous excluons pas de ces débats permanents. Un premier dossier apporte le pragmatisme nécessaire adapté à nos matières : Éthique en sciences de gestion et nouveaux modèles d’affaires.

Mais l’éthique s’est développée également dans les organisations proposant comme leur but ou comme leur contribution volontaire aux enjeux environnementaux, bien que cette acception mécanique et matérialiste avec une connotation quelque peu animiste nous semble oublier l’essentiel, la société des humains. Nous proposons donc de traiter le sujet dans son plus grand dénominateur commun, non seulement celui de la responsabilité sociale et mais aussi sociétale des entreprises.

Cela constitue le second dossier : La RSE en application : liens sociaux et performances.

Notre revue, dès les premiers travaux de recherche, toujours contre les tenants de la pensée dominante totalitaire, avait pensé que la réflexion sur la RSE était un sujet prometteur.

Nous avons publié alors, il y a 20 ans déjà, le premier colloque de l’ADERSE[11] avec ses pères fondateurs de 2002. Comme dans bien des domaines depuis 1965, notre revue a défriché, innové et pris le risque de déplaire car elle croit que c’est son rôle et depuis ce sujet a prospéré !

Dans ce sujet de la RSE comme de l’éthique le débat, la controverse et l’apport des constats et des pratiques doivent nous éviter le dogmatisme :

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir[12].

La conclusion de la fable Les Animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine n’a pas perdu une ride, que la justice soit rendue au nom de l’Autorité ou de l’Opinion publique !

Gardons donc la gestion hors de ce champ arbitraire et mouvant en lui évitant cet Ordre moral qu’on revoit poindre avec tous les excès de la bonne conscience, de la vérité autoproclamée et parfois même les meilleures intentions.

André Gide dans la préface qu’il rédige lui-même pour son roman L’Immoraliste[13], indique s’être contenté de « peindre et d’éclairer » pour permettre au lecteur de juger par lui-même.

C’est cet amoralisme que je fais mien !


1. In this present crisis, government is not the solution to our problem ; government is the problem », discours d’Investiture, 20 janvier 1981.

2. 1881-1973.

3. 1899-1992.

4. AynRand, (1905-1982) The Virtue of Selfishness: A New Concept of Egoism, 1964.

5. 1801-1850.

6. La Loi, 1850.

7. John Locke, Essai sur l’entendement humain, Paris, Vrin, 2001, I, p. 551.
8. Hobbes, Leviathan., c. XXVI : L’autorité et non la vérité fait la loi, 1668.

9. La vérité et non l’autorité fait la loi.

10. Discours de la Méthode.

11. La Revue des Sciences de Gestion, n° 205, février 2004, p. 59-142 https://www.decitre.fr/revues/la-revue-des-sciences-de-gestion-n-205-janvierfevrier-

2004-5552001457031.html

12. Les Animaux malades de la Peste, Jean de La Fontaine, livre vii – 1, 1678.

13. 1902.

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