Evaluation des publications de gestion par Yves Soulabail

La rédaction de LaRSG, toujours soucieuse de participer au débat des idées, notamment dans le domaine de l’évaluation des publications de gestion, porte à votre connaissance des éléments de réflexion.

Un Message de Philippe Minard

Chers collègues,

On peut comprendre les réactions épidermiques du monde universitaire, fort malmené ces derniers temps, mais avant de lancer une guerre des principes, prenons quelques précautions :

– le monde de la recherche est internationalisé, et les pratiques d’évaluation existent; je ne crois pas que la tactique du village gaulois soit opportune, ni efficace;

– les classements de l’ERIH-ESF et ceux de l’AERES ne sont pas à mettre dans le même sac : en l’occurrence, l’AERES a “improvisé”, et n’a pas pris assez le temps d’affiner, de soumettre aux instances collectives (les sections du CN du CNRS, par exemple, auraient du être consultées). Or, l’élaboration de critères nécessite un large débat au sein de la communauté scientifique.

– plutôt que de refuser en bloc, et sans grande chance de succès, reconnaissons que :

1) notre profession passe son temps à “évaluer”; il n’y a là rien de tabou, et ce n’est pas neuf.

2) mais l’évaluation est une chose, et ses applications technocratiques en sont une autre: pour la clarté du débat, on gagnerait à distinguer entre les deux.

L’AERES a le tort, à mon avis, d’avoir voulu transformer directement et précipitamment en outil de gestion immédiate un instrument encore insuffisamment réfléchi.

Bref, autant je conteste moi aussi, à titre personnel, la procédure maladroite de l’AERES et ses résultats parfois absurdes, autant je demande qu’on évite de jouer une fois encore le psychodrame du “complot” des “méchants”.

Il faut plutôt avoir le débat; il est moins de principe que l’opportunité ; c’est aussi un débat technique, dans lequel il faut entrer : la bibliométrie peut donner le meilleur et le pire; il faut discuter sur pièces, sans diaboliser, qui les “informaticiens apprentis-sorciers”, qui les ” bureaucrates irresponsables”.

Le pire, pour la recherche française, serait l’immobilisme, auquel nous entraîne, à mon humble avis personnel, l’actuelle coalition des conservatismes de tous bords.

Le grand refus outragé, c’est la politique de la chaise vide, qui conduit de fait à laisser dessaisir la communauté scientifique d’un enjeu majeur.

Très cordialement,

Philippe Minard
Université Paris-8
(IDHE, UMR 8533-CNRS), et EHESS-Paris

Réponse de Sylvain Piron

Chers collègues,

Après en avoir pris connaissance avec retard, je réagis au message de Philippe Minard. Sur un ton qui évoque irrésistiblement la langue de bois sarkozienne (“Le pire… serait l’immobilisme… auquel nous entraîne… l’actuelle coalition des conservatismes de tous bords”), son message enfile les contre-vérités et les caricatures, sans fournir le moindre argument ni la moindre analyse pertinente sur la question.

Personne, si ce n’est lui, ne parle d’un “complot des méchants”. Il est vrai qu’une autre pétition circule, aux formulations plus agressives, mais celle dont il est question ne peut aucunement être lue comme une remise en cause du principe même de l’évaluation.

Cette démarche n’a rien de franco-française ; elle est ouvertement internationale puisqu’elle appelle les responsables de revues scientifiques à suivre la démarche de nos collègues d’histoire des sciences qui demandent à l’ESF de retirer les titres de leurs revues du classement ERIH.

Elle a d’autre part, à l’échelle française, une certaine chance de succès puisque l’AERES a déjà accepté de renoncer à produire un classement des revues en lettres, et qu’il ne serait pas déshonorant pour elle de reconnaître que sa démarche, précipitée et mal conduite, doit être au moins suspendue. En outre, les discussions et échanges d’informations qu’a suscités cette initiative nous a permis de découvrir que, dans toutes les disciplines, le recours à une évaluation mécanique fondée sur un classement des revues est contesté. A titre d’exemple, le texte joint, de Nancy Adler et Anne-Wil Harzing (auteur du fameux logiciel “publish or perish”), montre les dégâts causés dans le domaine de la gestion.

J’invite donc tous ceux d’entre vous qui ne l’ont pas encore fait à signer l’appel au retrait de la liste des revues de l’AERES.

Et puisque cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus vaste de résistance à la politique scientifique du gouvernement, je vous invite également à lire et signer un message de SLR appelant à suspendre toute participation aux expertises de l’ANR et de l’AERES http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article2147

Quant à Philippe Minard, puisque son message n’est au fond qu’une justification de son choix d’occuper les chaises que nous laissons vides, souhaitons qu’il se fasse l’écho de préoccupations qu’il dit partager, au moins pour ce qui est du classement absurde des revues.

Bien cordialement,

Sylvain Piron
EHESS