Colloque : Entreprendre dans les économies medievales et modernes. innover, risquer, organiser

La 8e école d’été d’histoire économique se réunira à Suse, en Italie (province de Turnin les 26, 27 et 28 août 2019. Les séances auront lieu à l’Archivio Diocesano à partir de 9h00 le lundi 26 août. La thématique retenue cette année est : “Entreprendre dans les économies medievales et modernes. innover, risquer, organiser”.

Entreprendre dans les économies medievales et modernes. innover, risquer, organiser
Affiche du colloque

La 8e école d’été d’histoire économique se réunira à Suse (Piémont, Italie) les 26, 27 et 28 août 2019. La thématique retenue cette année, « Entreprendre dans les économies médiévales et modernes : innover, risquer, organiser », insistera sur la liaison entre les innovations techniques et l’action économique. Entreprendre signifie en effet agir sur le réel et, à cette fin, implique de mobiliser des compétences, des savoirs, des techniques et de les mettre à la preuve de la vie économique.

Ce thème, « Entreprendre dans les économies médiévales et modernes : innover, risquer, organiser », permettra de poursuivre et d’approfondir celles qui ont été développées les années précédentes (la valeur des choses, la pauvreté, les biens communs, les moyens de paiement, la qualité, l’organisation du travail, les écritures de l’économie[1][1]

Institutions partenaires

L’école d’été d’histoire économique rassemblera des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des chercheurs postdoctoraux, et des doctorants de toutes nationalités. Les institutions partenaires sont l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès, l’EPHE, les Archives Nationales (Paris) et le CNRS. Les laboratoires impliqués sont les suivants : LAMOP (UMR 8589, Paris 1/CNRS), FRAMESPA (UMR 5136, Toulouse 2/CNRS), SAPRAT (EA 4116 EPHE), IDHES (UMR 8533 Paris 1/CNRS). La manifestation reçoit également l’appui financier du LabEx HASTEC (Histoire et Anthropologie des Savoirs, des Techniques et des Croyances) et se déroulera sous le patronage de l’Association Française d’Histoire économique (AFHé).

Organisateurs / comité scientifique

Michela Barbot (CNRS, Idhes ENS Cachan), Patrice Baubeau (Univ. Paris-Nanterre, Idhes), Marc Bompaire (EPHE, Saprat), Julie Claustre (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Lamop), Anne Conchon (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Idhes), Laurent Feller (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Lamop), Agnès Gramain (Univ. Lorraine, Beta), Emmanuel Huertas (Univ. Toulouse 2 Jean-Jaurès, Framespa), Rosine Lheureux (Archives Nationales – Paris)

Lieu et dates

Suse (Piémont, Italie) du 26 au 28 août 2019

Objectifs et nature de l’opération

La nature du thème implique, outre la mobilisation d’historiens médiévistes et modernistes, la présence d’économistes et de sociologues spécialisés dans l’étude de la vie économique. La méthode proposée est de faire présenter une série d’exposés par des spécialistes et de les mettre en débat. Le but poursuivi est d’approfondir nos connaissances et nos réflexions sur ces matières et de permettre à des doctorants ou à des postdoctorants de s’associer à ces travaux par une participation active. La partition des doctorants/postdoctorants prendra la forme d’exposés sur leurs propres travaux et de prises de paroles dans le débat suivant les interventions.

Thématique de la session 2019

Entreprendre dans les économies medievales et modernes

innover, risquer, organiser

Entreprendre ne peut se concevoir sans un arrière-plan de compétences et de techniques. Le Moyen Âge a beaucoup entrepris et su innover. Si le secteur agraire a longtemps connu une sorte de stase technologique, il a cependant toujours eu à sa disposition les moyens matériels et organisationnels de sa croissance et a pu par conséquent mener des entreprises de plus ou moins grande taille qui ont assuré l’augmentation globale de la production et de la richesse. La question de la mobilisation du stock technique disponible a permis aux agents de multiplier les constructions d’infrastructures de toute taille, souvent d’importance vitale. Édifier un moulin suppose, par exemple, de maîtriser les problèmes du foncier, ceux de l’hydraulique, ainsi que la métallurgie nécessaire à la mise en place et à l’entretien des engrenages. L’opération, au total, n’est pas compliquée, mais elle est complexe dans le détail de sa réalisation. Elle suppose aussi que des risques soient assumés. Risque du crédit souvent nécessaire à la réalisation d’infrastructures même de petite taille. Risque aussi de la perte, si l’affaire n’est pas bien menée ou pensée.

D’autres opérations supposent également de savoir mobiliser et risquer pour réussir. Les opérations de peuplement, par exemple, entraînent des prises de risque financier souvent considérable, même durant le haut Moyen Âge. Il faut souvent procéder à des emprunts sur gage foncier pour couvrir l’investissement que constitue l’ouverture d’un nouveau terroir, la construction des habitations paysannes et des fortifications nécessaires à leur mise en sûreté et à l’affirmation du pouvoir seigneurial. L’entreprise de peuplement amène les seigneurs, d’autre part, à user de leur prestige pour convaincre ou de leur force pour contraindre : les conditions concrètes des déplacements de population, même sur de courtes distances sont, elles aussi parfois compliquées. Si l’entreprise agraire médiévale passe par l’utilisation des instruments de domination et de pouvoir que sont les seigneuries, elles ne s’affranchissent cependant pas des règles qui amènent ou non à la réussite d’une opération et l’incompétence du seigneur autant que les difficultés matérielles peuvent être cause d’échecs et de matérialisation des risques. Les défrichements organisés selon des opérations de grand style peuvent être abandonnés. Les villages de fondation ne pas connaître l’expansion que les seigneurs espéraient. Dans ces domaines, au demeurant, les actions individuelles, souvent subreptices, font de la prise d’initiative individuelle un facteur de changement économique et favorisent l’accroissement de la production.

Le monde artisanal, de son côté, connaît une organisation structurée qui ne se limite pas à l’encadrement juridique, moral et religieux que proposent les corporations. Les ateliers sont de véritables entreprises dont la logique économique peut être retracée. Le monde de la métallurgie a ainsi fait l’objet ces dernières années d’enquêtes novatrices qui montrent quelles sont les logiques à l’œuvre en matière d’organisation du travail et en matière d’utilisation des innovations. Les moulines du xve siècle, qui combinent un dispositif de soufflerie et un moulin à battre sont, en Catalogne, un très bel exemple de ce qu’est une entreprise de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne : un instrument de production, identifié par le nom de son propriétaire et la qualité de ses produits. Les dépouillements systématiques des registres de notaires ont permis, de plus, de cerner assez précisément les identités sociales des agents, montrant que les propriétaires de moulines avaient parfois une formation intellectuelle non négligeable (l’un d’eux était apothicaire) et qu’ils maîtrisaient parfaitement aussi, depuis, leurs villages, les circuits financiers, de même que les techniques de maniement de l’argent, nécessaires à leur activité.

Entreprendre, dans ces cas, signifie élaborer des objets identifiables par leurs propriétés et dont la valorisation se fait aisément. Les ateliers proposent, en fonction des savoir-faire et de la nature des minerais des produits de qualité différente. Il a fallu pour cela raffiner des procédés de fabrication déjà sophistiqués afin de parvenir à fabriquer les objets demandés par un marché exigeant, mais surtout segmenté et éclaté en fonction des besoins spécifiques de chaque activité ou de chaque localité. La petite taille des unités de production dont chacune correspond peu ou prou à une entreprise correspond à l’état de ce marché. Des remarques analogues peuvent être faites pour le textile médiéval, ou pour toute autre branche d’activité devant allier des compétences, des tours de main mais aussi des capitaux et des réseaux. Entreprendre, dans ces conditions, c’est mettre en valeur tous ces éléments. Cela implique aussi la mobilisation des réseaux familiaux et clientélaires, l’échange, né et développé autour des produits, échappant souvent aux règles du marché mais recoupant aussi des préoccupations non directement économiques.

Entreprendre, c’est aussi organiser des activités à grande échelle. Le commerce à longue distance est ainsi le vecteur d’innovations techniques de première importance. Son activité repose sur les progrès de la navigation et donc sur les modifications intervenues dans la construction navale. Elle repose aussi sur la mobilisation de formes juridiques particulières, celles des associations commerciales qui vont des ententes les plus simples, comme celles de la commenda, aux formes les plus sophistiquées qui organisent la vie des grandes compagnies, de leur formation à leur dissolution. L’action de l’entrepreneur passe donc aussi par l’invention et l’utilisation de formes juridiques qui permettent de rassembler des capitaux afin de promouvoir une activité et de programmer la répartition des bénéfices ainsi que le partage des risques qui, au Moyen Âge, sont considérables. Des formes documentaires neuves apparaissent et se perfectionnent autour de ces activités, et en particulier les comptabilités, qu’elles soient strictement analytiques ou qu’elles reposent sur une capacité mathématique importante commSTLS e le sont les comptabilités à partie double, apparues au xve siècle, sans que leur usage soit jamais généralisé dans l’activité commerciale.

Ces entreprises sont désormais mieux connues grâce à l’attention portée aux correspondances commerciales qui, à la fin du Moyen Âge et durant l’époque moderne, documentent la matérialité même de la vie des bureaux comme elles éclairent la nature et les modalités des échanges, les négociations qui ont lieu autour des prix, les vérifications de poids des marchandises, l’estimation des pertes et des coulages, bref tout ce qui fait le quotidien de la vie commerçante. Les grandes firmes internationales, comme celle de Francesco di Marco Datini, qui ont des représentants et des boutiques dans tout le bassin méditerranéen, tiennent par la multiplication des courriers. Cela suppose un personnel compétent, toujours à la recherche d’informations de toute nature, susceptibles de guider les choix du patron qu’est Datini ou de rendre compte ou d’expliquer ceux effectués par les facteurs répartis dans un très vaste espace. Le réseau de correspondance qui naît et se développe alors, d’une densité tout à fait remarquable, est une nouveauté : il mobilise des formes d’écriture particulières et inaugure une communication éloignée des formes documentaires très sophistiquées des correspondances officielles, qu’elles relèvent de l’État ou de l’Église. Elles donnent à voir un monde grouillant, dont la novellistique italienne du xive siècle, qu’il s’agisse des textes de Boccace ou de ceux Sercambi, a donné un aperçu extraordinaire. Le monde de l’entreprise commerciale et le monde de la haute culture ou celui des humanistes sont en rapport l’un avec l’autre et ce rapport donne à l’action économique une saveur particulière propre à la fin du Moyen Âge sans doute et aux débuts de l’époque moderne.

D’autres formes d’entreprise très spectaculaires requièrent des prodiges d’organisation. Il en est ainsi du travail de la mine, spécialement en contexte colonial à l’époque moderne. L’extraction de l’argent du Potosi, par exemple, et son transport jusqu’en Espagne entraînent une activité matérielle considérable, la construction d’une infrastructure, le recours au travail forcé des Indiens et l’organisation d’un transport toujours périlleux et de toute façon délicat à mettre en œuvre. À une autre échelle, et avec des valeurs moindres, l’économie de transhumance pose des problèmes de logistique considérables. Elle pose également la question du rapport entre l’entreprise privée qu’est l’élevage et le public, puisqu’il faut parcourir des distances importantes et, pour cela, utiliser les routes et les chemins qui, eux, relèvent d’une gestion publique. La question de l’affectation des espaces de pâturage implique les autorités de l’État comme elle implique aussi les communautés humaines auxquels ils appartiennent. La question de la réunion et de la gestion des capitaux nécessaires à l’organisation du déplacement de troupeaux de plusieurs milliers de têtes, qu’il s’agisse de moutons, de bovins ou de chevaux n’est pas de facile résolution et fait passer l’élevage du stade d’une économie largement informelle et ne nécessitant pas l’apport d’un capital particulier à une économie d’entreprise mobilisant d’importants capitaux ainsi que différents métiers, complémentaires les uns des autres et ayant besoin pour exister d’un rapport stable à l’État, caractérisé par des droits d’usage sur l’espace public et ses infrastructures et s’appuyant sur les biens communs produits par l’État, à savoir la justice et la sécurité.

Enfin, entreprendre suppose aussi d’assumer le risque de l’échec. Celui-ci se marque matériellement dans le territoire par l’abandon, celui de sites d’habitat mal choisis ou celui de sites industriels lorsque cesse l’activité. L’échec se marque aussi par la faillite, qui est l’un des problèmes de droit commercial les plus importants et les plus complexes qui soient. La faillite est également une question d’ordre politique et social, parce qu’elle est un des modes de régulation de la vie économique et des conflits qui traversent les élites sociales, comme dans la Florence du xive siècle, où les faillites des grandes compagnies des Bardi et des Peruzzi apparaissent comme éléments d’un système économique qui intègre la disparition et la liquidation dans ses paramètres de fonctionnement. Le risque et la perte font partie intégrante de la vie économique. Ce ne sont pas seulement des accidents mais aussi des moments normaux, voire attendus dans des processus de régulation. 

Le fait d’entreprendre afin d’agir sur son environnement et de produire, d’échanger et de transformer des biens, a une histoire. Celle-ci part des actions individuelles, non formalisées, comme les défrichements subreptices opérés aux dépens de la forêt seigneuriale, et culmine avec les grandes institutions commerciales ou industrielles de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne, qui sont, elles de véritables entreprises au sens où l’entendent les économistes.

L’étude de cette évolution, qui oblige à multiplier les angles d’approche et à considérer différents niveaux d’organisation et d’institutions comme elle oblige aussi à considérer la capacité des sociétés anciennes à lier techniques, innovations et prise de risques, a été puissamment renouvelée ces dernières années à la fois par l’histoire des techniques mais aussi par celle des entreprises comme du travail. C’est de ce renouvellement que nous voudrions discuter lors de la 8e école d’été d’histoire économique.

C’est pourquoi nous envisageons une école d’été comportant six sessions de leçons, entrecoupées d’études de cas présentées par les doctorants et postdoctorants. D’autre part, la documentation produite par les entreprises sera mise en valeur dans un atelier dirigé par deux conservateurs des Archives Nationales afin que la question de la documentation et des sources puisse être abordée.

            1. L’historiographie médiévale et moderne

            2. Le point de vue des économistes et des sociologues

            3. Entreprendre : figures et réseaux

            4. Entreprendre : investir, risquer, financer

            5. Innover et organiser une entreprise

            6. Présentation de deux fonds des Archives Nationales


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