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n°331-332 – Le manageur : l’homme-clef de la santé mentale

For better or worse, managers have a greater impact on our mental health than doctors and therapists—and even equal to that of spouses and partners, telles sont les conclusions d’une enquête de The Workforce Institute portant sur 3 400 personnes dans 10 pays en 2023[1].*

L’usage de l’anglais, inhabituel, a bien pour objet d’interpeler. Le gestionnaire n’est jamais interrogé sur les plateaux de télévision, ni appelé comme expert alors que l’on parle à longueur d’année des entreprises dans des chroniques appelées à tort « économiques ». Il ne s’agit pas ici de conflit de matières ou de sections du Conseil national des Universités (CNU) : la 06 (gestion) contre la 05 (économie) ou la 19 (sociologie). Il s’agit simplement de donner, à défaut de redonner, à la gestion, au management si l’on préfère cette dénomination, la place qui est la sienne dès qu’on parle d’entreprise et d’organisation !

Un très récent rapport[2] de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les pratiques managériales dans plusieurs secteurs des entreprises françaises comparées à celles de l’Allemagne, de l’Irlande, de l’Italie et de la Suède confirme que loin d’être exemplaire, le management français souffre d’un archaïsme certain du fait d’une excessive verticalité hiérarchique très différente d’ailleurs. « Les travailleurs français estiment que le soutien de leur manager est moins systématique que dans les autres pays de l’UE et dans les pays de comparaison[3] ». Or, l’absence de reconnaissance et d’autonomie est l’un des élément clef pour évaluer les risques psychosociaux, mis en lumière dès 1979 par Robert Karasek. Cela affecte le bien-être et la performance d’une équipe de travail en se caractérisant par une absence de reconnaissance, une surcharge de travail, du harcèlement, de l’agressivité, la manifestation d’une autorité vexatoire, le dénigrement voire ce que l’on appelle pudiquement des relations inadaptées qui peuvent aller jusqu’au viol. La « Promotion canapé[4] » n’est pas seulement un film comique sorti en 1990, c’est d’abord et surtout l’une des plaies des nombreux abus de pouvoir qui peuvent se produire dans toutes organisations humaines en créant une ambiance génératrice d’anxiété.

Ce sont ces types de manageur « froid », indifférent à tous, bien connu comme le « petit-chef », voire manipulateur comme un « marionnettiste » ou absolu comme un « monarque ». L’idéal-type au sens wébérien du « management toxique » pourrait fort bien être représenté par le gouvernement managérial « jupitérien » qui sévit en France et se montre si nuisible à la santé de tous et celle de la Nation !

Là encore, les éléments que sont la distance hiérarchique tout comme la reconnaissance ou non des partenaires sociaux sont des éléments mis en avant depuis fort longtemps par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (EU-Osha) pour déterminer les facteurs des risques psychosociaux dans le management[5].

Il n’est pas neutre de constater qu’un salarié sur quatre déclare être en situation de santé mentale dégradée, avec un impact direct sur son engagement, sa productivité et son bien-être au travail[6].

Il meurt au travail par accident un peu moins de 800 personnes en France (759 en 2023), à peu près autant que de morts dans la rue (735 en 2023). L’INRS rapporte que le taux de suicide en France est l’un des sept plus élevés de l’Union européenne[7] et qu’environ 10% de ceux-ci sont liés au travail.

  • C’est dire le rôle clef de l’entreprise, prise dans son sens générique : association, organisation, sociétés, administration… car en effet, « Tout se gère[8] ! »
  • C’est dire également toute l’importance de la gestion des hommes qui n’est pas reproductible par le calque d’une forme de modèle américanisé qui est enseigné un peu partout comme une sorte de Saint Graal.
  • C’est dire encore toute l’importance des pensées et des courants hétérodoxes en économie devant le fiasco de la pensée dominante « mainstream ». Il s’incarne notamment par quelques récipiendaires de ce que l’on appelle improprement le prix Nobel d’économie.
  • C’est dire toujours toute l’importance d’apprendre à connaître les méthodes managériales venues de tous les horizons, car le management interculturel prend ici toute sa place.
  • C’est dire enfin, qu’il est temps de rénover et renforcer les études et les recherches en gestion en ne les diluant pas dans le grand tout dissolvant anglo-saxon, mais en affirmant enfin leur originalité.

Notre revue, la plus ancienne en matière de publications internationales francophones de sciences de gestion est prête à y prendre sa place, avec sa même indépendance et sa même résistance aux oukases !

C’est ainsi que la faiblesse française de considérer les sciences de gestion comme un élément déterminant de la réflexion globale sur les organisations dans les politiques publiques comme dans la presse se démontre dans les faits.

Toutes les études et enquêtes aboutissent à mettre en lumière que le choix de ne pas mettre en place le système de la « participation » aux décisions des travailleurs c’est-à-dire de favoriser le « management participatif » est partout un échec. Bien entendu pas un management de laisser-faire qui induise angoisse, mais une solution d’écoute participative débouchant sur une décision concertée et connue ensuite de tous. Le management n’est pas le problème mais la solution[9] !

Voilà pourquoi notre revue pour ses 60 ans a tenu à consacrer le colloque qui se tiendra en décembre 2025 autour de cette double idée du travail, dans le cadre des Rendez-vous du Management de Marrakech, initiés par Nabil Ouarsafi et de la santé avec notre partenaire habituelle qu’est la chaire de gestion des services de santé du Cnam de Paris que dirige Sandra Bertezene[10].

Voilà pourquoi aussi ce numéro double qui ouvre cette année du soixantenaire, essaie d’embrasser plusieurs thématiques de cette approche du management que le rapport de l’IGAS incite à diversifier.

S’ouvrant sur une tribune sur le Management associatif, se déroulent ensuite quatre thématiques :

  • La Durabilité, ou le développement responsable. C’est une réponse possible pour le commerce comme pour les Techniques d’Information.
  • Discours et action ou comme le diraient les latinistes verba et acta.
  • Quels dirigeants ? est une des questions « cœur » du sujet.

Quatre articles apportent un élément de connaissance propre.

  • Le rôle du temps, enfin, nous est apparu un élément bien trop oublié dans l’immédiateté de nos sociétés. Il n’est certainement pas soluble dans cette horrible sentence citée ad nauseum : « time is money » car nombre de cultures n’ont pas cette vision réductrice !

Si le temps ne pardonne pas ce qui se fait sans lui, gageons que ce numéro permettra de participer à cet apport que souhaite la mission de l’IGAS pour les cadres dirigeants ou non d’« un véritable conseil sur le contenu de leur pratique professionnelle de management, mettant les cadres et notamment les managers au centre des processus de transformation des organisations11 » !

Voilà également sans aucun doute, un moyen de répondre à ce souhait gouvernemental de placer la santé mentale comme « Grande Cause Nationale en 2025 » ! Ne serait-il pas utile que la lecture de notre revue soit désormais considérée comme un traitement efficace pour lutter contre les mauvais manageurs et qui sait, soit remboursée par la Sécurité sociale ?


* Évidemment il faut prendre l’emploi du genre masculin dans sa forme neutre comme le rappelle l’Académie française et donc englobant les femmes et les hommes.

1. Pour le meilleur ou pour le pire, les manageurs ont plus d’effets sur notre santé mentale que les médecins et les thérapeutes-et même à un niveau équivalent avec celui de leur conjoint(e) ou partenaire de vie ! https://www.ukg.com/sites/default/files/2023-01/CV2040-Part2-UKG%20Global%20Survey%202023-Manager%20Impact%20on%20Mental%20Health-Final.pdf

2. Fabienne Bartoli, Thierry Dieuleveux, Mikael Hautchamp et Frédéric Laloue (Igas) (2024), Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France : les enseignements d’une comparaison internationale (Allemagne, Irlande, Italie, Suède) et de la recherche, juin 2024, https://igas.gouv.fr/sites/igas/files/2025-03/Rapport%20Igas%20-Pratiques%20manag%C3%A9riales%20%282025%29%20%28tome%20I%29.pdf

3. Ibid page 42

4. Film réalisé par Didier Kaminka, 1990.

5. EU-OSHA, Management of psychosocial risks in European workplaces–evidence from the second European. Survey of enterprises on new and emerging risks (ESENER-2), 2018.

6. Source : Le baromètre Santé mentale & QVCT 2025 par Qualisocial, en partenariat avec IPSOS. https://www.qualisocial.com/barometre-sante-mentale-qvct-qualisocial-ipsos/

7. https://www.inrs.fr/risques/suicide-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html.

8. Philippe Naszályi, (1996) Éditorial, Direction et gestion des entreprises n° 159-160, mai-août 1996. https://www.larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n297-298-larsg-fr/

9. Matthieu Detchessahars, (2011), Santé au travail, Quand le management n’est pas le problème, mais la solution…, RFG, DOI:10.3166/RFG.214.89-105. https://shs.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2011-5-page-89?lang=fr

10. https://www.larsg.fr/sommet-francophone-du-management-double-appel-a-communication/

11. Ibid, page 89.