Modifié le 30 juin 2025.
Le paysage de l’enseignement supérieur français pourrait connaître une mutation structurelle importante dans les prochaines années. Parmi les réformes envisagées figure le rapprochement – voire la fusion – entre deux instances centrales de l’évaluation : le Comité d’Évaluation des Formations de Gestion (CEFDG) et le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES). L’objectif affiché : rationaliser les procédures, alléger les charges administratives et optimiser les ressources publiques.
Le CEFDG sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur
Créé en 2001, le CEFDG est une commission placée sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur. Il est chargé d’instruire les demandes de visa ministériel et d’accréditation du grade de master pour les formations de gestion, en particulier celles portées par les écoles de commerce et les IAE. Son action est donc ciblée, mais hautement stratégique, car elle conditionne la reconnaissance publique de diplômes très recherchés.
Le HCERES
Le HCERES, lui, est une autorité administrative indépendante, héritière de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur-2007-2013), et évalue l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, des formations universitaires et des unités de recherche dans tous les champs disciplinaires. Son action s’inscrit dans un cycle régulier de revues quinquennales, avec des rapports publics et une méthode d’audit éprouvée.
Mais le mot indépendant, dès lors qu’il est accolé à des structures administratives désignées par l’État, mérite parfois d’être manié avec précaution. Ainsi que le notait ironiquement La Revue des Sciences de Gestion, « la République pense avoir trouvé la solution de l’indépendance » en multipliant les autorités administratives dites indépendantes, construites sur des schémas identiques et rarement sans lien avec les circuits de nomination. Une indépendance déclarée, sinon démontrée.
Des coûts séparés, un objectif commun d’efficacité
Même si leurs périmètres sont différents, CEFDG et HCERES peuvent être appelés à intervenir auprès des mêmes établissements, notamment lorsque les formations de gestion sont adossées à des composantes universitaires. Cette superposition engendre une redondance d’évaluations, perçue comme lourde et coûteuse par les institutions concernées.
Les deux instances mobilisent des moyens significatifs :
- Le CEFDG, bien que relativement léger, fonctionne avec un budget estimé entre 1 et 2 millions d’euros par an, financé directement par le ministère. Il mobilise une équipe restreinte de 10 à 15 personnes, complétée par un réseau d’experts externes.
- Le HCERES, plus structuré, dispose d’un budget avoisinant les 20 millions d’euros, dont une part significative est allouée aux missions d’évaluation. Il emploie environ 120 à 150 personnes, en plus de ses experts évaluateurs.
La fusion ou le rapprochement permettrait donc de réduire les coûts de fonctionnement, d’optimiser les expertises mobilisées et de clarifier le paysage de l’évaluation pour les établissements français et leurs partenaires internationaux. À condition que la simplification promise ne se transforme pas, comme souvent, en une superposition des lourdeurs antérieures.
Un tableau des compétences pour mieux comprendre
Domaine | CEFDG | HCERES |
Statut | Commission ministérielle | Autorité administrative indépendante* |
Champ disciplinaire | Gestion uniquement | Tous domaines |
Objet principal | Accréditation : visa, grade de master | Évaluation qualité : établissements, formations, recherche |
Périodicité | À la demande (visa/accréditation) | Tous les 5 ans |
Type de livrable | Décision ministérielle (accréditation) | Rapport public d’évaluation |
Méthodologie | Grilles CEFDG, approche professionnalisante | Méthodologie d’audit et autoévaluation |
Visibilité internationale | Spécificité du grade de master français | Reconnaissance HCERES dans l’espace européen |
Budget annuel | ~ 1 à 2 M€ | ~ 20 M€ |
Effectif permanent | 10–15 agents | 120–150 agents |
* Une indépendance d’autant plus solide qu’elle ne trouble pas l’ordre établi.
Des résistances mais un mouvement enclenché
Cette convergence est loin de faire l’unanimité. Les grandes écoles de commerce, fortement investies dans les procédures CEFDG, redoutent que leurs spécificités soient diluées dans un processus trop universitaire, moins attentif aux réalités du management ou aux attentes du monde professionnel.
De leur côté, les universités, souvent engagées dans une modernisation sous contrainte, affichent une position plus ambivalente. L’effet délétère de la loi de 2007 sur l’autonomie, loin d’avoir produit l’élan managérial espéré, a parfois laissé les établissements seuls face à leurs charges, sans les moyens réels d’une autonomie stratégique. Le transfert de compétences budgétaires et immobilières s’est souvent accompagné d’un alourdissement des procédures, d’une dépendance accrue aux financements précaires, et d’un recul de l’ambition universitaire au profit d’une gestion à vue.
Si certaines composantes, comme les IAE, ont su tisser des liens solides avec le monde économique, d’autres restent prisonnières de logiques internes contradictoires. Le développement de l’apprentissage, pourtant soutenu au niveau national, y rencontre des résistances idéologiques durables. Les relations avec les entreprises sont souvent perçues comme des compromissions, et une forme d’anticapitalisme culturel continue de structurer les discours dans plusieurs disciplines, au détriment de l’insertion professionnelle des étudiants.
Ce décalage se traduit par une fragilité croissante : locaux vétustes, taux d’encadrement faibles, désaffection croissante des jeunes chercheurs, et montée silencieuse de la défiance institutionnelle. Dans ce contexte, l’arrivée d’un acteur unifié de l’évaluation, s’il se contente d’harmoniser les exigences sans refonder les objectifs, pourrait accentuer les inégalités structurelles entre établissements. Le risque n’est plus seulement celui d’une complexité administrative accrue, mais celui d’un renforcement technocratique sur un socle universitaire déjà fragilisé.
Une réforme à construire… ou à déconstruire ?
Aujourd’hui, aucune décision officielle n’a encore été arrêtée, mais les pistes se précisent. Une fusion complète pourrait poser des questions de gouvernance, de statut juridique (faut-il vraiment intégrer le CEFDG dans une autorité administrative dite indépendante ?) et de continuité des missions. Une coordination renforcée, plus souple, fondée sur le partage des expertises et la convergence des grilles d’analyse, apparaît à ce stade comme une étape intermédiaire plus réaliste — et plus politiquement praticable.
Le défi est clair : il s’agit de moderniser l’évaluation de l’enseignement supérieur français, sans affaiblir ses points forts ni heurter les équilibres déjà précaires entre universités sous-dotées et grandes écoles sur-sollicitées. Mais la promesse de simplification, aussi ancienne que constante, pourrait bien se traduire — une fois encore — par la création d’une architecture administrative plus massive que fonctionnelle, alourdissant les procédures là où l’on prétend les alléger.
Reste cette question, à la fois triviale et redoutable : pour quelles économies ? Et surtout, pour quelle efficacité réelle ? La réforme, ce mot incantatoire devenu passe-partout, n’a-t-elle pas fini par perdre tout sens dès lors qu’il suffit de la prononcer pour en escamoter les effets ?
Simplification ou nouvelle bureaucratie à la soviétique, et pour quelles économies ? L’affaire devient en tout cas une étude de cas toute trouvée pour les gestionnaires, et un bel exercice d’accréditation pour les futurs évalués.