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N°324 – Mobilisé(e)s

Rassurons tout d’abord nos lecteurs ! Non La RSG n’entend pas donner dans la fable de l’écriture qui n’a d’inclusive que le nom et ne satisfait que quelques irrédentistes germanopratins! Mobilisé est au féminin comme au pluriel, un participe passé mis à peu près à toutes les sauces et employé sans vergogne par à peu près toute personne disposant d’une once de pouvoir ! Est-ce parce que la crise sanitaire du Covid-19 est apparue en mars, mois dédié depuis Rome au dieu de la guerre, que nos gouvernants ont décidé d’utiliser ces métaphores belliqueuses. Il faut dire que parmi eux, peu ont connu l’armée et le service militaire. Le dernier poilu, tout comme le dernier Compagnon de la Libération ont été portés en terre. Les derniers combattants de la 2nde (que nous préférons à 2e) guerre mondiale sont désormais peu nombreux et très âgés. Alors, faute d’une véritable mobilisation générale, la dernière date de septembre 1939, il fallait bien ranimer cette flamme aux connotations guerrières et dont les synonymes sont : « enrégimenté », « recruté », « embrigadé » ou « rappelé » comme le contingent le fut en Algérie, après « la journée des tomates » du 6 février 1956 avec un service qui passa de 18 à 30 mois. N’est pas Guy Mollet qui veut !

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Tout gouvernant, cherche toujours ces possibilités de gloire sur le terrain militaire. N. Sarkozy et D. Cameron (un patronyme évocateur !) à Benghazi, le 15 septembre 2011, F. Hollande (et L. Fabius) à Tombouctou et Bamako, le 2 février 2013 avaient eu la leur. Il appartenait à leur double héritier de trouver la sienne. Il en décida d’une, le 16 mars 2020, d’une forme inusitée : la guerre sanitaire. Il n’est pas question ici de railler après coup et de manière parfaitement anachronique, les peurs qui ont surgi devant cette menace inconnue et imprévisible d’un virus chinois. Cela ne serait ni sérieux ni intellectuellement honnête. Si une loi d’amnistie ne vient pas, opportunément pour certains[1], tout balayer. Il importera à la justice peut-être, aux historiens plus sûrement, d’évaluer les situations d’alors avec leur origine, de dégager les responsabilités s’il y en a et d’en tirer les leçons.

Notre propos est plutôt de constater que la guerre sanitaire proclamée en 2020 a entraîné depuis une floraison de « mobilisations ». Il semble d’ailleurs que moins il y a d’action concrète, plus le discoureur se dit mobilisé avec ses troupes : une sorte de « drôle de guerre » sanitaire ! Rappelons que la précédente « drôle de guerre », la véritable, sur le front occidental, en France, avait duré quand même huit mois et sept jours. Elle s’acheva en 1940, un jour funeste, le 10 mai, pour faire place à une cuisante défaite.

Le 27 septembre 2023, Élisabeth Borne décrète la « mobilisation générale » contre le harcèlement scolaire. Le 26 octobre, la même promet une « mobilisation générale » en réponse aux émeutes, avant le 13 novembre de sonner la mobilisation des fonds européens. Europe que dès le 16 septembre, elle appelait à la mobilisation et à la solidarité avec l’Italie !

Il est vrai que le 26 avril, toujours en 2023, dans le cadre des « 100 jours », elle avait mobilisé 150 policiers et gendarmes supplémentaires à la frontière italienne. Après quatorze journées de mobilisation réelle des Français contre son texte de réforme des retraites, la Première ministre ne pouvait, par ce vocabulaire belliqueux, qu’essayer de se donner une contenance pour exister.

Mais revenons-en à l’origine de l’emploi disproportionné de ces termes : la crise sanitaire du Covid-19, en 2020. Déjà quelques jours avant la proclamation de la guerre sanitaire, dans un discours[2], le Ministre de la santé, avait utilisé pas moins de treize fois, les vocables « mobilisé(e)s » ou « mobilisation », « exceptionnelle » pour le personnel soignant bien sûr, mais aussi pour le Gouvernement, ses équipes, les agences sanitaires (on a pu apprécié en Île-de-France les fruits !), le consortium REACTing pour le partage d’information scientifique, les directeurs et enseignants et toutes les équipes enseignantes pour le travail à distance, l’hôpital d’Annecy et tout un chacun, avec un doute toutefois sur la « mobilisation » des électeurs au premier tour des Municipales !

Cela fait beaucoup et cela augurait de la suite !

Pas plus que la conjugaison du verbe « assumer », précédé de tous les pronoms personnels n’est une réalité pour les politiciens[3], l’usage répété de la mobilisation ne correspond à rien de réel et n’a même pas une vertu symbolique ! C’est le vide sidéral du discours politique qui, confronté aux événements, témoigne de l’inanité, de la vacuité et de l’emphase. Pas de quoi réconcilier les Français avec leur démocratie mise à mal avec la « lâche tout », petit néologisme, à l’usage des couleuvres avalées par le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel durant cette crise sanitaire en France quant au respect des libertés publiques !

L’un des piliers de la démocratie repose sur la Liberté de la Presse. L’Europe en janvier-mars 2022 avait appelé à une consultation citoyenne sur la liberté des médias. Le 15 décembre 2023, le Règlement européen au nom, on ne sait pas bien pourquoi enanglais, Media Fredom Act (EMFA), fait l’objet d’un accord entre le Parlement et la Conseil de l’UE. La suite devrait venir.

En France, des États généraux de l’information convoqués par la Président de la République, le 3 octobre dernier, devraient s’achever en juin 2024. Nous ne sommes pas certains que ces États-généraux comme les nombreux débats depuis 2017, n’accouchent pas d’une souris. Nous ne sommes pas certains non plus que le « Comité de Pilotage », nommé par le Chef de l’État, ait une légitimité forte autre que celle d’être proche du pouvoir en place. Toutefois, en cette année olympique, « l’essentiel est de participer » ! Espérons que cette participation ne soit pas considérée un jour comme une collaboration connivente d’un recul de plus de cette liberté garantie en France depuis la loi du 29 juillet 1881 !

Les deux institutions dont nous présentons les contributions (page 59) sont, elles, dotées d’une réelle légitimité :

Le CDJM, Conseil de Déontologie journalistique et de médiation, institution libre et associative récente puisque fondée le 2 décembre 2019, est un « organe professionnel d’autorégulation, indépendant de l’État, une instance de médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics ».

Il entend promouvoir la réflexion et la concertation pour les professionnels et servir de pédagogie envers les publics. Le CDJM est composé de trois collèges : les représentants des journalistes, des éditeurs et des publics. (page 60)

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), plus connue sous l’appellation de la « commission de la carte de presse », est bien plus ancienne puisqu’instituée par la loi en 1935. C’est aussi une commission paritaire entre les éditeurs-employeurs et les journalistes. (page 62).

La presse est certes constituée d’entreprises plus ou moins grandes dans le cadre de l’économie de marché mais avec un statut particulier puisque l’information qu’elle soit politique, générale, économique, culturelle, scientifique ou de loisirs et de sports… n’est pas un produit comme un autre.

La dépendance à l’argent en général, souvent incarnée par la publicité en est un écueil certain puisqu’indispensable et en même temps aux effets qui peuvent être dangereux pour la liberté. Ayons toujours présente cette réponse de feu le patron de TF1 : dans une perspective business, (…) soyons réalistes, à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-cola, par exemple, à vendre son produit (…) . Pour que le message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible[4].

Espérons que la France, pays pro business, selon Manuel Valls, déjà en 2015[5], devenue depuis 2017, la « start-up nation », à l’issue de ces États-généraux où les citoyens ne sont guère partie-prenante, ne tordent pas la liberté de la Presse, et donc la démocratie, à l’aune de préceptes de Patrick Le Lay !

Cette démocratie est aussi celle de la santé, nous avons organisé en ce sens, avec le CNAM Paris, le 20 juin 2023, un colloque intitulé :

Pouvoir d’agir des usagers : bilan et perspectives de la démocratie en santé. Ce premier évènement dont les publications paraîtront en 2024, sera suivi d’un autre colloque, le 13 juin 2024, toujours avec le CNAM Paris et cette année les Universités du Québec sur le thème : Pouvoir d’agir des usagers en France et au Québec : partage de connaissances pour une plus grande démocratie en santé. Du fait des distances, il se tiendra en visioconférence.

(Appel à communication en 4e page de couverture de ce numéro) Remercions Sandra Bertezène qui dirige notre partenaire, la chaire de Gestion des services de santé du Conservatoire National des Arts et Métiers et sa collègue Fatima Yatim de faire le pont entre ces deux colloques, posant la question de recherche fondatrice : Quel cadre épistémologique pour la démocratie en santé ? (page 11)

Comme l’on vient de le voir, avec ironie, la Covid a laissé une empreinte guerrière sur le vocabulaire politique. La crise sanitaire elle, a eu un impact sur les organisations et des effets sur les populations. Ce sont les titres des deux dossiers de ce numéro qui « encadrent » les contributions aux États-généraux de la presse que nous venons de présenter.

Comme toujours notre revue ne limite pas son champ géographique et culturel. Nous sommes ravis que des chercheurs de tous les continents nous apportent leurs analyses de terrain et leurs expériences.

Les risques de dépendance accrus pour la génération Z en lien avec les enceintes connectées, les perceptions différentes entre les hommes et les femmes du télétravail ou le référentiel comptable des entités à but non lucratif au sein de l’espace de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, ont subi les effets de la crise sanitaire ! Tout cela est notre premier dossier.

• La vaccination contre la Covid-19 quant à elle, vaste sujet qui suscite tant de polémiques en France depuis 2021, peut avec très grand profit, être vue depuis le vaste continent africain, qui, reconnaissons-le, a plus de choses à nous apprendre que nous ne le pensons. C’est le comportement de Consommation Santé d’une part et une étude sociodémographique qui analyse les déterminants de l’adoption du vaccin d’autre part qui constituent le second dossier.

Si la crise sanitaire a bien changé nombre de comportements, ne renonçons pas à exercer tout esprit critique qui fonde la recherche scientifique et acceptons de débattre de tout avec tous, en toute liberté, pour défendre la liberté de la presse, quelle qu’elle soit, qu’elle partage ou non nos idées. Nous serons alors mobilisés pour de vrai et pour de vraies valeurs !


1. Philippe Naszályi, « Gestion du Covid-19 : un modèle de Kakistocratie, où règnent les médiocres ! », 20 juin 2020, Revue Politique et Parlementaire, https://www .revuepolitique.fr/

2. Déclaration de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur les mesures pour lutter contre l’épidémie du coronavirus, à Paris le 4 mars 2020.

3. Philippe Naszályi, « Assumer », La Revue des Sciences de Gestion, n°323, page1-2, octobre-novembre 2023

4. Patrick Le Lay, PDg de TF1, « The digital Deluge », « The Harold Innis lecture », Innis College, Université de Toronto, 16 novembre 2000, cité par Mario Cardinal : « Il ne faut pas toujours croire les journalistes », Bayard Canada, Montréal 2005, page 49.

5. Manuel Valls, « La France est un pays attractif, c’est un pays pro-entreprises, un pays pro-business, un pays qui avance et qui se réforme”, Pékin, 30 janvier 2015, https://www.gouvernement.fr/actualite/3257-la-france-est-un-pays-attractif-c-est-un-pays-pro-entreprises-un-pays-pro-business-un-pays-qui.