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N°319 – Le marketing dans tous ses états

Ouvrir l’année 2023 qui se dessine avec d’inquiétants points d’interrogation tant la situation mondiale parait incertaine sur des questions de marketing, nous permet de nous recentrer sur l’une des problématiques de gestion que La RSG n’avait pas traité depuis plusieurs années. Non que le marketing fût exclu de nos publications, mais à aucun moment les études qui nous étaient présentées ou les contributions qui nous étaient soumises ne permettaient de consacrer à ce sujet un numéro entier !

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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C’est désormais chose dépassée puisque nous pouvons présenter ici un ensemble d’articles qui abordent le marketing de différentes façons et sont, comme toujours dans notre revue, d’origine et d’horizon variés puisque nous le proclamons haut et fort : il n’y a pas, et loin de là, qu’un seul modèle de science de gestion qui se calquerait sur les pratiques étasuniennes !

Force est de constater que cette conviction forte qui est notre credo originel et notre « marque de fabrique » commence à être partagée par nombre de chercheurs et rédacteurs de nos consœurs les revues de gestion et nous avons été heureux de lire sous la plume de Jean-Philippe Denis, ancien Rédacteur en Chef de la RFG qu’il valait mieux « valoriser la recherche française que singer le modèle américain[1] ». Nous aurions plutôt mis « francophone » quant à nous puisque depuis de très nombreuses années, nous tenons à publier les auteurs qui, partout dans le monde, expriment leur recherche en français.

En effet, La RSG est partenaire, d’une part, du Centre d’Études sur le Développement International et les Mouvements Économiques et Sociaux (CEDIMES) qui a eu cinquante ans en 2022 et célébrera cet anniversaire solennellement par un colloque international du 12 au 14 octobre 2023[2], et d’autre part, du réseau ERECO-PGV qui prépare sa XIXe conférence en janvier 2024 qui aura lieu à l’Université Matej-Bel de Banská Bystrica (Slovaquie).

Car notre politique francophone internationale ne se contente pas de se glorifier de classements obtenus dans des cénacles très, très obscurs et où l’entre-soi est la règle, comme une nouvelle forme de « repli communautaire[3] ».

Au contraire, elle entend rayonner sur les sites internationaux. Elle s’enorgueillit de compter parmi nos auteurs un étranger sur deux et de faire valider nos articles non pas seulement par deux évaluateurs, mais bien par trois puisque l’un est obligatoirement un chercheur étranger.

C’est pour cela que ce numéro 319, de la plus ancienne revue francophone de gestion, entend continuer loin des sérails et autres connivences, de faire émerger une jeune recherche africaine, des contributions nord-américaine, des nouveautés venues de l’Asie et de la péninsule arabique sans oublier bien sûr l’apport français et européen.

Ce n’est pas pour rien non plus que rare, voire unique, parmi les revues de recherche en gestion, nous entendons appartenir à la presse française et à en respecter les normes et les obligations.

Notre participation au Conseil d’Administration du Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation dont nous tenons à publier ici la recommandation pour « le traitement des questions scientifiques » (page 91) est le signe de notre attachement à l’éthique de publication et de la recherche[4] !

C’est un plaisir de voir comme des chercheurs qui ont commencé à publier dans notre revue, sont ensuite happés par des consœurs plus étoilées, confirmant en cela notre longue tradition de découvreurs de talents. Dans le numéro de nos 50 ans en 2015, nous avions repris cette longue, très longue kyrielle d’éminents professeurs qui avaient été tout d’abord nos contributeurs. « C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt[5] » !

On pourra bien entendu m’objecter que parfois nos publications ne sont pas aussi abouties que ce qu’elles devraient être dans une vision un peu compassée d’un académisme étroit sinon désuet.

Et bien, nous en avons depuis toujours accepté le risque ou plutôt l’opportunité car il se fonde sur ce que nous croyons indispensable à savoir « l’adéquation du travail scientifique et des besoins sociaux[6] ». « À la synthèse intellectuelle majeure, au « chef-d’œuvre » d’un seul homme, symbolisé un temps par le doctorat d’État, s’opposent alors les travaux spécialisés d’équipes de recherche sans cesse destinés à être dépassés – ce qui renvoie notamment à l’antagonisme de « l’homme cultivé » et du « spécialiste[7] », que Weber voyait à l’arrière-plan de tous les débats sur les fondements du système éducatif[8] ».

Le marketing dans tous ses états qui constitue l’unique dossier de sept articles de ce numéro, obéit à cette logique des diversités régionales, des différentes approches conceptuelles autour de la règle des « 4 P » : Politique du Produit, Prix, Placement, Publicité et s’inscrit dans le cadre d’une économie post-covidienne.


1. 18 octobre 2019 – https://theconversation.com/valoriser-la-recherche-francaise-plutot-que-singer-le-modele-americain-125468.

2. http://www.cedimes.com/images/College_doctoral_2023/230414_colloque_Dossier_AAC.pdf.

3. Tissot, Sylvie (2014). Entre soi et les autres. Actes de la recherche en sciences sociales, 204, 4-9. https://doi.org/10.3917/arss.204.0004.

4. Goiseau, Élise, et Yoann Bazin (2022) « La New Brunswick Declaration, ou comment nos collègues étrangers redonnent du sens à l’éthique de la recherche (et pourquoi nous devrions nous y intéresser) , La Revue des Sciences de Gestion, vol. 315-316, no. 3-4, 2022, pp. 13-16.

5. Marguerite Yourcenar, Memoire d’Hadrien, p. 97

6. Laperche, Blandine (2003). « Les critères marchands d’évaluation du travail scientifique dans la nouvelle économie La science comme “force productive” et “outil marketing“ », Innovations, vol. no 17, no. 1, 2003, pp. 105-138.

7. Faure, Sylvia, et Charles Soulié (2006). « La recherche universitaire à l’épreuve de la massification scolaire », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. n°164, n°4, 2006, pp. 61-74.

8. Max Weber, Hindouisme et bouddhisme, Paris, Flammarion, 2003, p. 148 (traduction d’Isabelle Kalinowski).

N°315-316 – Qu’en est-il des macaques à longue queue ?

Philippe Naszalyi LaRSG Stratégies et innovations

Si l’on en croit, et pourquoi ne les croirait-on pas, les chercheurs qui travaillent pour la santé des êtres humains, l’un des effets de la Crise du COVID 19 est la pénurie des primates indispensables pour travailler sur la pathologie, le virus, les vaccins ! La mondialisation nous (Européens comme États-Uniens) fait là encore, dépendre de la Chine ! Paradoxe de plus qui ne semble guère émouvoir nos principales qui, discours électoraux mis à part, ne comprennent toujours pas que la division internationale du processus productif (DIPP), si chère aux néolibéraux, sectateurs du théorème Heckscher-Ohlin-Samuelson, n’a certainement pas entraîné la baisse des profits des détenteurs de capital, bien au contraire.

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Cette dépendance qu’on a découvert en maints domaines de fournitures de santé depuis mars 2020, est aussi très préoccupante pour les « recherches importantes sur des organismes vivants entiers », « mais aussi le développement du système nerveux… l’immunologie et l’infectiologie[1]. » En fait, nous ne maîtrisons plus ni les matières premières, ni leur transformation, mais pas non plus la conception des processus et même désormais la recherche pour ce qui est notre santé !

Une recherche exsangue !

La Recherche, voilà bien l’un des points qui devrait être prioritaire ! Contre toute logique, les « jeunes », puisqu’ils se revendiquent tels, qui nous dirigent devraient s’en soucier pour l’avenir des générations ! Et bien que nenni !

En 1992, la France se situait au 4e rang des pays de l’OCDE pour la recherche, elle est en 2019, au 13e… et comme le résume avec son humour grinçant le Canard Enchaîné : « Nos chercheurs cherchent surtout des sous[2] » ! « En Allemagne, il faut six mois entre la demande d’un cryo-microscope par les chercheurs et sa réception. En France, il faut six ans » Il est vrai que rien ne presse, l’ARS gère !

Si nos lecteurs s’offusquent de cette référence à notre éminent confrère satyrique du mercredi, qu’ils se réfèrent alors à la tribune de quinze membres de l’Académie des Sciences qui, en octobre de la même année, 2021, et cette fois dans Le Monde[3], tentent de nous réveiller « pour remédier aux difficultés de la recherche française et en arrêter le déclin ». Et les académiciens de rappeler qu’ « entre 2011 et 2018,les crédits du seul secteur de la santé ont diminué de 28 % en France, alors qu’ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de 16 % en Grande-Bretagne ».

Ces erreurs, liées à l’idéologie mortifère du néolibéralisme économique chérie de nos politiques, ont permis que le « pays de Pasteur est resté en retrait dans la course pour la mise au point d’un vaccin au moment même où les vaccins à ARN, après quinze ans de recherche, démontraient brillamment leur efficacité[4]. »

La peur de la liberté !

Et pourtant que n’a-t-on entendu nos Gouvernants, et avec eux, les doctes savants et spécialistes, du Diafoirus de base au plumitif, en passant par les pires « pisse-copie » voire hélas aussi certains élus locaux déchaînés, invoquer Pasteur pour faire honte à ceux qui, sans aucun doute à tort, refusaient les injonctions tonitruantes de vaccination. Dans le pays des Droits de l’Homme avec la complicité intéressée, – la place est bonne pour les retraités, anciens Premiers ministres notamment –, des conseillers constitutionnels et les palinodies ergotantes de la Haute Assemblée qui cherchait sans doute à se faire pardonner son impertinence pourtant bien utile, de la Commission Bénalla, a été concocté un ensemble extrêmement dangereux de mesures coercitives et attentatoires aux libertés. « La Peur de la liberté[5] » d’Erich Fromm reste une clef d’analyse très pertinente pour cette période où la démocratie a été et est durablement mise en péril par ceux qui ne pensent la liberté que dans le Libre-échange.

La peur de mourir nous a fait trouver acceptable qu’on enferme, car il s’agit bien de cela, nos aînés dans des maisons, devenues souvent des mouroirs. S’il existe un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il n’a été évidemment pas été saisi des EHPAD dont on a fait des maisons de relégation, soumis à l’autorité arbitraire et au bon vouloir de leur direction sous la coupe des oukases technocratiques quotidiennes. On a laissé mourir ces êtres humains sans aucune humanité et qui puis est au nom de la santé ! Dans un discours de 1819, Benjamin Constant, le père de ce qui est le véritable libéralisme, relevait déjà que « le danger de la liberté antique était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles. Le danger de la liberté moderne, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique[6] ».

Et pourtant, dès le 16 avril 2020, le Conseil pour l’engagement des usagers (CEU) placé auprès de la Haute Autorité en Santé, sans pourtant remettre en cause, le régime d’exception qu’est le confinement, constate que malgré tout « il eut pourtant été possible de faire vivre les principes de démocratie en santé » et « en outre, il n’est pas acceptable que la majorité des instances (de démocratie en santé) n’aient pas été réunies depuis la survenue de la crise[7] ».

Il est vrai que les instances de démocratie en santé, relèvent des ARS et que si l’on considère certains de ces directeurs généraux, c’est comme de confier à Poutine le soin de défendre la démocratie. N’était un vague décret du 28 juin 2021, à la suite du Ségur de la santé, qui tente d’accroître le poids de la Conférence régionale de Santé et de l’autonomie (CRSA), rien, depuis la loi du 4 mars 2002 instituant la démocratie sanitaire, n’est fait pour faire vivre une co-construction des citoyens aux décisions qui concernent leur santé. Évidemment, les Conseils Territoriaux de Santé dans les départements, dont aucune extension de leur rôle n’a été prévue, tout comme la CRSA, sont à la main des directions générales des ARS qui en nomment les membres et pour certaines s’arrogent même le droit, à l’iranienne, d’empêcher ceux qui auraient des velléités de libre parole d’en faire partie ! Une démocratie à la botte !

Une recherche défaillante, une démocratie bafouée, une gestion publique souvent lamentable voilà bien un premier bilan bien sinistre de la crise du COVID-19.

Démocratie en santé : un colloque en 2023 !

Pour tirer les leçons de ce que nous estimons être une question de fond pour les organisations, notre revue, en partenariat avec la Chaire de Gestion des Services de Santé que dirige avec talent Sandra Berteneze, a décidé d’organiser un colloque en juin 2023, au CNAM de Paris, pour interroger toutes les parties prenantes sur cette démocratie en santé qui a célébré bien timidement en 2022, le vingtième anniversaire de la Loi Kouchner qui l’instituait enfin, en France !

Pourquoi cette préoccupation de la santé, pour une revue de recherche en gestion ?

La réponse est simple et pourtant mal connue en France ou santé et sanitaire sont souvent mélangés er employés l’un pour l’autre.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) apporte une réponse claire aux plus dubitatifs : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Santé : le Physique, le mental et le social ! Toute la vie humaine est ainsi résumée et c’est parce que, les gouvernants ont oublié cette définition, en limitant toute leur action au « physique », le sanitaire et encore à une partie du physique, en laissant de côté nombre de pathologies dont beaucoup ont empiré, que nous sommes si affaiblis par cette crise qui n’en finit plus !

Le climat, l’énergie sont des éléments de la santé, car poursuit l’OMS dans sa constitution : « les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne peuvent y faire face qu’en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées ».

Ce numéro de l’été de 2022 est une étape de la réflexion de chercheurs en sciences humaines dont l’éthique doit toujours être réinterrogée comme nous le rappelle la tribune d’Elise Goiseau et Yann Bazin. Ce premier numéro consacré au COVID est multiple, varié et ouvert. Nous avons tenu à réunir ici, des contributions individuelles comme à l’accoutumée, et des articles sélectionnés par le Professeur José Allouche et Romain Zerbib qui fut naguère l’un de nos collaborateurs zélés, qu’ils soient ici remerciés de ce travail éditorial.

Et parce que l’information si malmenée pendant la crise COVID demeure pour nous un axe fondamental pour le chef d’entreprise, le cadre dirigeant, le chercheur ou… le citoyen, nous proposons une suite à l’un des chapitres du précédent numéro : « L’information au service des organisations »

« Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations. »


1. Emmanuel Procyk, directeur de recherche au CNRS, co-directeur du Groupement de recherche BioSimia (fédère les chercheurs des laboratoires de recherche publics qui font appel aux primates autres que les humains).

2. « Nos chercheurs cherchent surtout des sous », Le Canard Enchaîné, 21 avril 2021, p. 3, http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8922

3. Le Monde, 19 octobre 2021, « Quinze membres de l’Académie des sciences alertent : « Pour arrêter le déclin de la recherche française, il est urgent de réagir », https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/19/quinze-membres-de-l-academie-des-sciences-alertent-pour-arreter-le-declin-de-la-recherche-francaise-il-esturgent-de-reagir_6098940_3232.html

4. Le Monde, 19 octobre 2021 ibid.

5. The Fear of Freedom, New-York 1941, traduit de l’anglais par C. Janssens, Paris, Buchet-Chastel, 1963, 244 pages.

6. « De la liberté des anciens comparée à celle des modernes », discours prononcé à l’Athénée royal de Paris en 1819, in Benjamin Constant, Écrits politiques, éd. Marcel Gauchet, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1997, p. 603.

7. COVID-19 – Avis du Conseil pour l’engagement des usagers, Avis n° 1/2020 du Conseil pour l’engagement des usagers. Mis en ligne le 05 mai 2020. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3182529/fr/covid-19-avis-du-conseil-pour-l-engagement-des-usagers

n°263-264 La comptabilité dans tous ses états

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Editorial : Comptez sur moi ! Count on me ou trust me ?

par Aude d’Andria – Rédactrice en chef
et Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

aude d andriaPhilippe NaszalyiCompter ou faire confiance ? Ce jeu de mot, plus compréhensible en anglais, pose bien les fondements de toute pensée, toute action en matière de chiffres. Sont-ils indicateurs ou résultats des organisations ?

C’est un fait, nous vivons dans un monde de chiffres. Et chaque jour, nous sommes davantage sommés de devoir rendre des comptes. Ce qui nous semble familier nécessite cependant d’être réinterroger afin d’envisager des perspectives renouvelées.

Or, et c’est bien là le fond du problème, quel crédit, c’est-à-dire quelle confiance leur accorder ? Car, ne nous y trompons pas, dès lors qu’il s’agit de vouloir quantifier la vie, résumer l’action, réduire la part d’erreur de l’appréciation humaine, le risque est grand alors de scléroser l’innovation, l’intelligence et l’efficience… Comme le souligne d’ailleurs Hervé Dumez dans l’ouvrage collectif qu’il coordonne1, la tendance actuelle pousse à devoir rendre des comptes de façon quasi continue, de sorte que s’installe la confusion entre la définition des objectifs et la construction de l’action. Par conséquent, plus il est demandé de rendre des comptes, et ce en permanence, et plus il devient difficile de prendre des risques et de laisser la place à la créativité même de l’action. Évidemment, il ne s’agit pas de contester l’idée louable de vouloir fixer des objectifs, fussent-ils chiffrés, et de rendre des comptes « aux parties prenantes », mais bien de questionner l’idée de la pertinence de la conformité qui bien trop souvent ne rime pas avec efficacité.

Dans un tel contexte, la loi sur les universités et son application en France par ceux qui avaient tant vilipendé l’autonomie et l’omni président (d’université), donne le pouvoir mortifère aux mauvais gestionnaires que sont tous ceux qui ne savent pas ce que gérer veut dire… « Une chose trop sérieuse pour être confier à des économistes2 » raillons-nous ; il y a quelque temps… en paraphrasant Clémenceau ; plus en vogue que jamais ! Nous étions prémonitoires pour certaines universités françaises, voire pour certains ministères…

Or, à vouloir tout quantifier, comme si les chiffres possédaient par eux-mêmes des vertus intrinsèques, il est à craindre qu’ils finissent par manquer la cible et incitent à « lâcher la proie pour l’ombre ». Ainsi comme l’illustrait au tout début du siècle dernier dans ses mémoires sur sa famille, M.J.-D. Rockefeller racontait comment « ayant commencé ma vie comme teneur de livres, j’ai toujours eu le plus grand respect pour les chiffres, et mes carnets de jardinage ont toujours été tenus avec la même scrupuleuse régularité que les registres d’une maison de commerce. De tout temps, nous avons eu, dans la famille, l’habitude de tenir une comptabilité en règle de chaque végétation particulière dans chacune de nos propriétés » (M.J.-D. Rockefeller, 1908)3. Loin d’être anecdotique, cette allégeance inconditionnelle aux chiffres annonçait déjà à sa façon la croyance dans un ordre comptable, omniprésent en ce monde néo-monétariste et le « reporting » à tout va.

Ne s’improvise pas gestionnaire qui veut ! La gestion, loin d’être une vision comptable sommaire, comme la regardent parfois avec dédain certains Trissotins, est tout à fois stratégie, organisation et management, en un mot : « direction ». Elle est également, et ce numéro le montrera, travail au plus près du terrain et de son intelligence par une appréhension méthodique : « gestion » dans son deuxième sens : direction et gestion des entreprises, notre titre originel de 1965 et notre sous-titre depuis 1997.

Doyenne des revues françaises de gestion, La Revue des Sciences de Gestion, direction et gestion des entreprises s’est toujours donnée pour ambition d’être un espace de diffusion des idées, des courants de pensée, des méthodes… qui naissent et se développent dans tous les domaines qui intéressent la vie des organisations (entreprises, associations ou organismes publics…). Aussi, la revue se réjouit-elle de son classement par la FNEGE 2013. Classement aux vertus rassurantes auprès des (jeunes) chercheurs, de leurs laboratoires et plus largement pour les institutions à la recherche d’étoiles et d’accréditation en tout genre, il nous rappelle sans cesse aux responsabilités qui sont les nôtres. Bien évidemment, la vie et le rayonnement de notre revue ne s’arrêtent pas à son classement. Il induit également de nouvelles contraintes que nous ne pouvons nier.

Ainsi, certains auteurs se sont-ils émus des retards dans la publication des derniers numéros ainsi que des délais accrus dans l’évaluation de leur manuscrit. Ils ont eu raison. Revue internationale francophone de premier plan, tant de par l’origine de ses contributeurs que de ses évaluateurs, La Revue des Sciences de Gestion doit faire face à un flux quotidien d’articles pour évaluation, révision, et publication. Aussi œuvrons-nous actuellement à réduire du mieux possible l’ensemble de la chaîne. Chacune de ses étapes repose sur des valeurs qui mobilisent des ressources, d’abord et surtout humaines, des compétences et des expertises, de l’investissement en temps de relecteurs désintéressés et si peu valorisés… Nous remercions chaleureusement les très nombreux collègues qui ont répondu positivement en accompagnant notre démarche fondée sur le partage à la collectivité.

Et nous réaffirmons ici que l’esprit de la revue est bien de présenter la recherche en gestion au plus près du terrain et non celle qui, de recensions en résumés, sclérose tout par son académisme poussiéreux qui n’innove en rien.

C’est donc à raison et avec légitimité que, pour clôturer l’année 2013, l’équipe de direction éditoriale deLa Revue des Sciences de Gestion a décidé de consacrer ce dernier numéro à la thématique de la comptabilité, cette « science des comptes » comme la dénomme Georges Reymondin dans une publication de Société Académique de la Comptabilité paru en 19094. Aussi surprenant que cela puisse paraître elle n’avait pas fait l’objet d’aucun éclairage spécifique depuis l’origine de notre revue et nous sommes heureux que la « comptabilité dans tous ses états », après les « diversités de la gestion » et la mise en perspective du « marketing avec les cultures », clôture cette année de l’innovation dans des domaines souvent laissés pour compte. Et pourtant, l’innovation managériale comme le présentait il y a 10 ans déjà, à la suite de sa thèse de 1992, Simon Alcouffe, trouve aussi son origine en comptabilité5…

Historiquement, la comptabilité plonge ses racines dès le IVe millénaire avant JC où l’on en retrouve les prémisses sur des tablettes d’argile et des papyrus. On en retrouve les traces d’abord en Mésopotamie et en Égypte, puis en Grèce et dans l’Empire romain. Par conséquent, comptabilité et écriture ont longtemps été intimement liées6. Pour autant, bien que l’activité comptable au sens de « décompte des valeurs » soit l’une des plus vieilles activités du monde, elle ne se limite pas seulement à l’enregistrement des actes commerciaux. Plus qu’un moyen d’écriture, elle est aussi et surtout porteuse d’une démarche politique et pour laquelle il convient d’en décrypter le sens.

Ce double numéro est donc aujourd’hui l’occasion de mettre en lumière les spécificités anciennes et nouvelles de la comptabilité.

Quatre dossiers le composent. Ils encadrent le cahier central, fruit d’un excellent colloque sur « le désordre, une vertu créatrice ? » et pose en perspective l’ordre, le désordre…

le chaos, sans bien sur le résoudre totalement7et inscrit un paradoxe dans cet « ordre » apparemment immuable qu’est la comptabilité.

Le premier dossier intitulé « Modernisation comptable et sphère publique » s’intéresse aux liens entre la comptabilité et les répercussions de sa prise en compte par la puissance publique. Différents niveaux du déploiement de la sphère publique sont analysés. Madina Rival et Olivier Vidal ouvrent ce premier dossier en s’interrogeant sur les liens nombreux et complexes entre la comptabilité et la politique. Simon Wangani explore la logique actuelle des fusions dans les organisations publiques et illustre sa recherche par l’étude au sein d’une organisation publique d’insertion professionnelle « Pôle Emploi ». El Mehdi Lamrani se focalise sur la mise en place d’une démarche ABC au sein d’une mairie française. Comme en écho avec les trois premiers articles, Sabrina Bellanca et Julien Vandernoot nous éclairent sur les réformes entamées pour moderniser la comptabilité publique belge en particulier et leurs conséquences sur l’ensemble du système comptable en général.

Le deuxième dossier intitulé « Comptabilité et réglementations » s’intéresse quant à lui aux différents impacts des nouvelles réglementations comptables et financières. Christophe Collard et Christophe Roquilly placent leur analyse au niveau des risques juridiques et réaffirment l’importance d’une collaboration étroite entre toutes les fonctions de l’entreprise. Faïza Bouguerra poursuit la problématique de la gestion du risque de défaut en réinterrogeant la responsabilité des agences de ratings et la faillibilité de leur notation. Complétant cette dimension, Xavier Brédart revient sur la multiplication des codes et des lois de gouvernance. Il rappelle leur vocation première à savoir la volonté de renforcer les mécanismes de contrôle mais souligne que leur caractère inopérant impose d’explorer des pistes alternatives fondées sur la diversité et la « compliance ».

En réponse Benoit Pigé et Robert Sangué-Fotso illustre la mise en place d’une gouvernance des transactions d’une exploitation forestière au Cameroum. Et Fabrice Roth conclut ce dossier par une réflexion d’un modèle « biologique » de l’organisation.

Le troisième dossier intitulé « Informations comptables et transparence » interroge sans concession la question de la confiance que l’on peut accorder aux procédures et résultats comptables et des possibles manipulations de l’information comptable, sous couvert de transparence. Aubry Springuel et Romain Zerbib entament ce troisième dossier. Ils pointent le rôle des médias de référence sur les marchés financiers et tout particulièrement l’influence des informations issues du Wall Street Journal sur la valeur des titres et des volumes échangés lors d’une nouvelle introduction en bourse. De la même manière, Olfa Nafti et Olfa Errais poursuivent sur les possibles manipulations du fait d’un usage discrétionnaire des informations comptables par les dirigeants dans le cadre de l’application des normes IAS-IFRS. Ce que corrobore d’ailleurs Yosr Hrichi dans son analyse sur la gestion des résultats de 100 entreprises françaises du SBF 120. De même, les innovations comptables ne sont-elles pas sans conséquence sur la perception de l’activité d’une entreprise. Comme le montre Narjess Hedhili, la méthode « du temps requis pour exécuter les opérations » ou « time driven activity based costing » (TD ABC) apporte une simplification appréciable à la méthode ABC (comptabilité à base d’activité) pour les praticiens pour peu qu’ils en maîtrisent les principales différences au niveau du cheminement pour le calcul du coût de revient. Pour autant, reste la question des divergences observées entre comptabilité et fiscalité. En contexte tunisien, Ines Bouaziz Daoud et Mohamed Ali Omri montrent que les dirigeants optent pour un comportement opportunisme où les choix comptables et fiscaux leur permettent de s’approprier de la richesse tout en réduisant si possible la charge fiscale. Il en va de même concernant la prise en compte des catastrophes de nature environnementale. Karima Bouaiss, Jean-Philippe Lafontaine et Jean-Laurent Viviani montrent à ce sujet que les accidents industriels n’ont que très peu d’impact sur les cours boursiers des grandes sociétés qui les provoquent. Concernant plus particulièrement les conséquences de deux accidents industriels imputables en partie à l’entreprise Total (Erika, 1999 et AZF, 2001), les auteurs montrent que les parties prenantes ont été plus sensibles aux conséquences humaines (i.e. l’explosion de l’usine AZF, 2001 sur Toulouse a fait 31 morts et 2500 blessés) qu’environnementales (i.e. le naufrage de l’Erika a provoqué une des plus grandes marées noires que la Bretagne ait jamais connue). Ils relativisent toutefois le réel impact sur la valeur boursière d’une entreprise comme Total.

Le quatrième et dernier dossier intitulé « Méthodes comptables et performance » clôture de ce numéro. L’article de Jonathan Bauweraerts et Olivier Colot porte sur la mesure de la performance des entreprises familiales (EF) et met en exergue les aspects de rentabilité, de solvabilité et de liquidité. Les auteurs montrent notamment qu’en contexte belge, les EF affichent des niveaux de rentabilité commerciale supérieure avec des conséquences positives en termes d’autofinancement, d’endettement et de liquidité. De son coté, Jean-Paul Méreaux analyse les processus d’intégration ou non des systèmes comptables à l’issue de fusions-acquisitions. A partir d’une étude sur les 7 dernières acquisitions d’un groupe de vins et spiritueux pour la période 1992-2007, ils montrent que le degré d’intégration dépend de la volonté chez le groupe acquéreur de ne pas uniformiser en fonction de la taille et du niveau de performance des systèmes comptables des entreprises acquises. L’article d’Azzouz Elhamma revient sur la perception des responsables d’entreprises dans un contexte marocain et confirme que le système de comptabilité par activité entraîne une meilleure performance pour les entreprises qui l’ont adopté.

Pour finir, Mouna Ben Rejeb Attia examine les déterminants de la relation entre le lissage comptable du résultat et la couverture du risque par les produits dérivés et met en avant l’importance des effets d’opportunités dans les choix comptables.

Gageons que ce numéro consacré à « la comptabilité dans tous ses états » fournisse à ses lecteurs de stimulantes et nouvelles réflexions. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »8 comme l’écrivait Pascal, paraphrasant Montaigne9 ou poursuivant plutôt cette idée que la perception de certaines vérités reste dépendante de nombreux facteurs. Il signifiait déjà que ce qui est une vérité pour les uns à un moment ou un lieu donné ne l’est peut-être pas pour les autres. « Ce que l’Europe admire, l’Asie le punit, ce qui est un vice à Paris est une nécessité quand on a passé les Açores. Rien n’est fixe ici-bas, il n’y existe que des conventions qui se modifient suivant les climats ». Telle est la philosophie de l’argent et de ses lois qu’expose « l’illustre Gobseck10».

Ainsi, en va-t-il de la comptabilité en particulier comme de la gestion en général, plus qu’une question de culture ou de géographie, le débat est aussi sans aucun doute celui d’une époque !

À toutes et à tous, nous vous souhaitons une très bonne lecture et une très bonne année 2014 !

Dernière année avant le cinquantenaire de notre revue !

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1. Hervé Dumez (sous la dir.), Rendre des comptes : nouvelle exigence sociétale, Dalloz-Sirey, coll. Présaje, mars 2008, 149 p.

2. « L’entreprise est une chose trop sérieuse pour être confiée à des économistes ? », La Revue des Sciences de Gestion, 2006/3 (n° 219), https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RSG_219_0005.

3. Extrait de : « Les mémoires des Rockefeller », Journal Le Matin, 17 novembre 1908, cité par G. Reymondin (1909) à la page 15. 4. Georges Reymondin (1909), Bibliographie méthodique des ouvrages en langue française paru de 1543 à 1908 sur la science des comptes, Publications de la Société Académique de la Comptabilité, Réimpression de l’édition de Paris, 1909.

Ouvrage consultable : target= “_blank”>http://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=0-SopGbRjRsC&oi=fnd&pg=PA5&dq=ouvrage+sur+histoire+de+la+comptabilit%C3%A9&ots=p6-gSWPtZ0&sig=0Jx4Ok6i3xguoDPlUm2qPh2_k20#v=onepage&q=ouvrage%20sur%20histoire%20de%20la%20comptabilit%C3%A9&f=false.

5. Simon Alcouffe, (2003) « La Recherche et les innovations managériales en comptabilité et en contrôle de gestion : proposition d’un modèle théorique intégrant les perspectives de diffusion, d’adoption et de mise ne oeuvre de l’innovation », http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/58/78/23/PDF/Alcouffe.pdf.

6. Comme le rappellent François Engel et Frédéric Kletz (2007), dans leur ouvrage initiatique sur la comptabilité générale, il s’agissait à l’origine de trouver le moyen de suivre sur un compte le flux des biens entrants et sortants afin de garder trace des échanges. La comptabilité était alors l’affaire des propriétaires terriens, des marchands, des administrateurs des temples, des banquiers, et plus près de nous, des commerçants de la fin du Moyen Age et de la Renaissance. Ce sont les intendants qui ont eu pendant longtemps la charge de la comptabilité chez riches ; en étaient le plus souvent leurs esclaves, certes érudits mais esclaves tout de même. François Engel, Frédéric Kletz (2007), Comptabilité générale, Presses de l’École des Mines. Ouvrage consultable : http://direns.mines-paristech.fr/Sites/ComptaG/co/comptagenerale_ULcg01.html.

7. Colloque international ISEG Group qui s’est déroulé à la Maison de l’Europe à Paris le jeudi 11 avril 2013.

8. Pascal, Pensées 294 (1re partie, chap. De la justice. Coutumes et préjugés).

9. Montaigne, Essais, livre II, ehap. xn ; éd. Lefèvre, 1823, t. III, P, 304.

10. On notera qu’avant d’être un roman éponyme de la vaste Comédie humaine de Balzac, l’ouvrage parut dès 1830, sous le nom de « L’usurier », puis dans le Journal « Le Voleur », en 1830 !

n°303-304 – Du scientisme à l’imposture scientifique

Du scientisme à l’imposture scientifique

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Philippe Naszalyi LaRSG Stratégies et innovations

Telle est bien ce qui marque la gestion de la crise pandémique par les autorités de santé, y compris les médecins et chercheurs embarqués dans une spirale dirigiste qui méconnait les principes de la Santé selon la définition de l’OMS, notamment en France et par les grandes revues scientifiques dont The Lancet. Voilà pourquoi notre modeste revue entend s’intéresser à la Responsabilité dans ce numéro double de l’été 2020.

La responsabilité est d’abord, personnelle et donc incessible. Elle est le fruit même de la Liberté et du discernement à l’exercer qui va jusqu’au droit de « résister à l’oppression », le quatrième de nos droits naturels depuis 1789[1], c’est-à-dire de ne pas exécuter un ordre injuste et de s’opposer même à la loi… De ce droit personnel découle bien entendu celui de l’exercice du pouvoir. C’est cette thématique qui s’illustre dans un cahier central que le Professeur Medhi Nekhili et Eric Bidet de l’université du Mans ont intitulé : « Gouvernance responsable ». « Ce que nous apprend la finance », en deux articles achève et renforce notre réflexion entamée par le premier dossier consacré aux « Organisations responsables ». En cette période où la crise économique, découlant de la pandémie, sévit, qu’il me soit permis de citer juste le premier article « consacré aux accords de Ruptures Conventionnelles Collectives ». Il allie les sciences juridiques et de gestion. Il illustre notre souci constant de ne pas nous limiter à la « gestion gestionnaire », mais de la confronter, comme cela se fait dans les entreprises, aux réalités des circonstances. Notre riche et internationale équipe d’évaluateurs a seule permis cette complémentarité des disciplines qui nous rappelle combien notre revue est estimée par les décideurs eux-mêmes[2]. C’est finalement cette renommée-là qui nous importe et nous évite comme Cyrano « d’avoir son encensoir, toujours… »

_________

1. Article 2 de la Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen, 26 août 1789

2. Etude FNEGE 2016 “L’impact de la recherche en management”

n°291-292 – Au service des entrepreneurs !

Au service des entrepreneurs

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Philippe Naszalyi LaRSG Stratégies et innovations

Quel est l’impact de la recherche sur les managers ? Telle était la question que cherchait à élucider l’enquête FNEGE [1] sur l’influence de la recherche en management réalisée par Michel Kalika [2], Sébastien Liarte [3], et Jean Moscarola [4], à partir de ces questions :

  • Quels sont les auteurs et les connaissances que les managers considèrent comme utiles pour leurs pratiques ?
  • Sont-ils informés sur la recherche en management ?
  • Comment et qu’en pensent-ils ?

L’étude des 1557 réponses obtenues [5], a permis d’appréhender la manière dont l’impact de la recherche est perçu par les managers.

La RSG se place en 4e position du TOP 10 des revues les plus reconnues par les entrepreneurs : pas mal pour la seule revue indépendante d’une fondation ou d’une association, et la seule gérée comme une entreprise ! L’étude ne mesure pas l’impact à l’étranger qui nous aurait renforcés encore.

Il y a plus de 10 ans, à l’occasion de la parution de la traduction française de l’ouvrage de deux professeurs de Stanford aux Presses de Harvard Business School, Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton, nous regrettions avec le préfacier de « Hard Facts, dangerous half-truths & total nonsense » que les « pratiques managériales ne font qu’un usage très limité des connaissances accumulées par la recherche en management [6] » ?

Les choses auraient-elles donc changé et la recherche académique inspirerait-elle enfin, un peu… beaucoup ou guère, sinon pas du tout, les actions des entrepreneurs ?

L’enquête ne va pas jusqu’à apporter une réponse construite et étayée à cette question existentielle ? En effet, publier pour publier comme le souligne pour en dénoncer la pratique Sylvie Chevrier [7] qui est aussi membre de notre Conseil de rédaction, n’est ni de la recherche ni d’un quelconque apport pour la gestion des organisations… en fait, un enseignement qui « n’estoit que besterie, et leur sapience que moufles, abastardissant les bons esperitz et corrompant toute fleur de jeunesse » pour reprendre avec son style, la critique que Rabelais faisait déjà en son temps à ces connaissances hors-sol et inutiles !

Être scientifiquement promoteur et pouvoir influer le cours des activités des entreprises en inspirant les entrepreneurs, est une forme de quadrature du cercle qui nécessite sans cesse une interrogation sur le pourquoi de nos choix, sur la pérennité des articles et l’apport réel de ces contributions.

Le vrai principe n’est pas de se faire gloire d’éliminer un très fort pourcentage de propositions. C’est à la portée de tous et c’est être bien présomptueux sur son propre jugement. Partir du principe que plus que de modélisation, cette technique qui a tué la science économique, comme les sophismes dénoncés déjà par Rabelais, c’est l’approche humble du terrain qui permet, comme l’historien le fait, de fonder des connaissances et d’apporter un éclairage utile à tous, à commencer par les entrepreneurs.

Elie Cohen a déjà répondu à notre interrogation : « En fin de compte, l’affirmation de la gestion dans ses développements cognitifs, comme dans ses réalisations instrumentales est sans doute vouée à s’accomplir dans une tension permanente entre l’ambition généralisante et la recherche de relations causales stables d’une part, et le souci de prendre en compte, sinon en charge, les problèmes réels auxquels sont confrontées les entreprises et les organisations d’autre part [8]. »

Cette « tension permanente » est ce qui préside au choix de nos publications : « Avec l’apport des diverses disciplines scientifiques, et des techniques nouvelles qui en sont résultées, ces méthodes de gestion tendent à se multiplier en se spécialisant. Ce faisant, elles deviennent plus hermétiques et plus disparates.

Il est de plus en plus difficile de les relier entre elles, d’en délimiter les champs d’application, d’en apprécier les possibilités d’utilisation.

Or, tout Cadre de Direction (manager) doit être en mesure, de situer dans une perspective globale, non seulement les problèmes de l’entreprise, mais également, les méthodes permettant de les résoudre.

C’est pourquoi, il nous a paru nécessaire, à côté des revues spécialisées consacrées à ces différentes méthodes, d’offrir à l’ensemble des Cadres de Direction une publication qui en fasse une synthèse, utile également pour le spécialiste », c’était déjà le propos de notre revue lors de la parution de son 1er numéro en 1965.

Être la plus ancienne revue francophone, avoir reçu du grand universitaire et homme d’État, Raymond Barre, la qualification de « 1re revue francophone de management » oblige et fixe la ligne de crête pour « être au service des entrepreneurs ».

Voilà pourquoi exceptionnellement, à côté des recensions bibliographiques de nos collaborateurs attitrés (page 157), nous présentons brièvement en clin d’œil, un ouvrage sur le parcours de 20 entrepreneurs (page 101).

Trois dossiers thématiques entendent répondre également à cette préoccupation permanente par leur diversité et leur lien avec le terrain, d’étude, d’expertise, de synthèse.

  • « Géographie et entreprises »,ouvre ce numéro double du cœur de l’été, en privilégiant l’environnement territorial, régional voire immatériel.
  • « Collaborations et coopérations», ce dossier découle naturellement du fait des contraintes des évolutions des technologies notamment de l’information, et de la nécessaire utilité de trouver des fondements économiques et sociologiques aux défis de la mondialisation.
  • « Mesures et contrôles »,est le dernier dossier. Il aborde par des cas souvent très orignaux, une logique d’évaluation nécessaire à tout acte d’« administration » pour reprendre le vocabulaire du père du management qu’est Henri Fayol dont l’objectif était déjà de placer sa publication « au service des entrepreneurs » !

 

Notes

[1] FNEGE : Fondation nationale pour les études de gestion.

[2] Professeur à l’IAE Lyon, BSI.

[3] Professeur à l’Université de Lorraine.

[4] Professeur à l’Université de Savoie.

[5] Enquête FNEGE, menée en partenariat avec Sphinx Institute, http://www.lesphinx-developpement.fr/wp-content/uploads/2016/05/Communiqu%C3%A9_Enqu%C3%AAte_FNEGE-Sphinx-Institute_OK.pdf.

[6] Naszályi Philippe, « Faits et Foutaises dans le Management » ou « Hard Facts, dangerous half-truths & total nonsense », La Revue des Sciences de Gestion, 2007/6 (n°228), p. 5-6. DOI : 10.3917/rsg.228.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2007-6-page-5.htm.

[7] Chevrier Sylvie, « Publish… and perish ! », Annales des Mines – Gérer et comprendre, 2014/1 (N° 115), p. 18-21. DOI : 10.3917/geco.115.0018. URL : https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre1-2014-1-page-18.htm.

[8] Elie Cohen, (1997), Épistémologie de la gestion, article 59 dans Encyclopédie de la gestion, Simon, Yves et Joffre, Patrick (dir.) Paris, Economica. page 1059.

N°313 –  Publier pour servir à quelque chose !

Philippe Naszalyi LaRSG Stratégies et innovations

Choisir de publier tel ou tel article est une tâche que tout directeur de revue, tout rédacteur en chef, tout comité d’orientation ou de rédaction ne peut regarder qu’avec gravité.

Bien entendu dans la presse d’information politique et générale que favorisent financièrement les politiques publiques parce que l’on parle des hommes et femmes politiques et qu’ils y ont leur bobine, le choix engage moins la réflexion, pardon de ce propos quasi séditieux, puisque chaque jour ou chaque semaine, une information en chasse une autre et ainsi de suite !

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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La concentration en très peu de mains de propriétaires financiers, des principaux organes de presse, ne favorise pas non plus ni le débat d’idées ni la diversité et l’ennui naît bien de l’uniformité et du prêt à penser qu’on tente de nous faire ingurgiter comme on gave des oies ou des canards !

La plupart des revues académiques, disons pratiquement toutes, ne répondent à aucun des critères qu’on demande à la presse : régularité, public, intérêt général… et dans notre domaine des sciences de gestion, des comités Théodule se sont arrogés un droit au classement. La productivité académique est désormais régulièrement évaluée à partir de ratios dont la capacité à évaluer réellement la « valeur » de son objet n’est pas plus performante que l’indice Dow Jones ou le CAC 40 à un moment donné[1].

Aucun de ces comités n’a la moindre idée de ce que sont les obligations de la presse, mais qu’à cela ne tienne, ils se jugent compétents. Ils le sont d’autant plus que certains de ces juges, et parfois non des moindres, appartiennent ou ont appartenu aux rédactions des revues qu’ils vont classer. Ethique est un mot d’origine grecque et comme souvent ils ne jargonnent qu’en sabir anglo-américain, ils ne savent pas ce que cela signifie !

« Laisse les morts enterrer leurs morts » et fais ton métier, sans te soucier de ce ranking de passage, de connivence, d’ignorance même.

C’est à peu près ce que m’écrit un éminent chercheur et professeur des Universités à qui je m’ouvrais de cette réalité nauséeuse. Il me confirme que ces classements vont mourir et qu’il faudra que « les évaluateurs (reviennent) aux basiques, à savoir lire (!!!) les articles pour juger de leur qualité et de leur intérêt ? » au lieu de nous faire remplir des pages d’index et de références qui sont signe de la quantité de production et non de la qualité du fond !

Ne perds donc pas ton temps en combats inutiles, ajoute encore en substance mon éminent collègue et interlocuteur : « Poursuis avec La RSG, tu as permis à tant de jeunes et moins jeunes de publier des papiers de qualité, à progresser dans la carrière. Le reste n’est qu’écume sur l’océan ».

Publier donc ce qui peut servir à quelque chose. Voilà notre tâche ! Voilà bien aussi une responsabilité !

Après les trois évaluations de base que pratique notre revue (les autres, mieux notées se satisfont de deux comme les classeurs) pour les contributions qui lui sont soumises, il nous arrive encore de requérir plus d’avis encore lorsqu’un article recèle des potentialités mais voit s’opposer les évaluateurs.

Nous sommes allés à neuf pour l’un des articles publiés ici !

Cela d’abord doit nous donner plus qu’une once de modestie quant à la valeur de nos propres approches ou nos propres jugements, puisque d’autres au moins aussi éminents, ont jugé et évalué autrement. Il arrive que malgré le retour vers l’auteur ou les auteurs pour demander des modifications, des précisions, l’article continue de susciter des jugements discordants voire opposés. Il faut alors trancher et c’est le fruit de ces débats qui a retardé la parution de ce premier numéro de 2022.

Le choix que nous avons fait est que la recherche gagne plus d’un débat que d’une censure !

C’est donc un numéro de plus, mais toujours un numéro original que nous osons offrir à nos lecteurs avec cette constante que nous venons d’exposer sur l’inachèvement ou l’incomplétude de certaines contributions. Nous espérons que la controverse qu’elles pourront susciter soit la reconnaissance de notre parti pris de la liberté de pensée et d’écrire, si malmenée ailleurs du fait du poids de la pensée dominante !

Le premier dossier entend présenter donc quelques « questions émergentes en sciences de gestion » avec ses problématiques propres en trois contributions assez différentes par leur sujet et leurs approches. Ouvrir nos colonnes à une étude sur HAL (page 13) peut passer pour un paradoxe même si cette plateforme de publication n’est pas non plus cet « open access », cher à l’ultra-libéral Georges Soros. Traiter du concept de « géo-management » (page 25) ne pouvait se faire que dans nos colonnes qui inlassablement redisent que les concepts du management qu’on nous présente comme neutres ne sont qu’« une arme géopolitique américaine de premier ordre »… Après avoir remercié l’auteur de cet article qui fait une part belle à ce qui est souvent ignoré en France, la géographie, laissons à nos lecteurs le soin de cheminer dans ce « prolégomène » d’une rare qualité. Le dernier article ouvre une question qu’il n’arrive pas complètement à circonscrire sur les sujets sensibles en sciences de gestion (page 35). De ce fait même, il permet des compléments et des développements qui permettront de faire progresser la problématique très intéressante qu’il soulève.

Le deuxième dossier soulève lui-aussi une approche novatrice : les nouvelles problématiques en Gestion des ressources humaines (GRH). Petit dossier de deux articles car depuis quelque temps, les propositions de contributions en GRH sont rares. Notre revue généraliste est en effet, un excellent baromètre des tendances de la recherche puisque ne suscitant aucune commande d’articles, elle en reçoit bien au-delà de ses capacités de production. Elle publie donc ce qui émerge, comme nous le faisait remarquer plus haut mon correspondant chercheur. Il faut même avoir pris le parti de le gestion humaine pour avoir placer le premier article à la résonance très financière, mais la composante « genre » que ces trois chercheurs de l’Université de Mons abordent dans cette excellente étude de cas, (page 43) est convaincante. La seconde étude, dans le domaine bancaire cette fois, entend faire ressortir le rôle éminent du « conseiller client » (page 53).

Le troisième dossier présente plusieurs approches en gouvernance.

Elles sont appelées à se poursuivre au fil des années.

Notre revue francophone est d’abord et avant tout une revue multiculturelle. Les différences apportées par la géographie sont considérées comme une source inlassable d’enrichissement.

L’entreprise familiale française ouvre le bal (page 67).

Les dépenses vertes et dirigeants des petites et moyennes entreprises nous emmènes en Afrique et plus particulièrement au Cameroun (page 77) puis les investissements publics et la recherche universitaire conclut ce dossier en nous conduisant ensuite en Asie, au Viêt-Nam (page 91) !

Les notes de lecture que nous présente Daniel Bachet pour clore ce numéro sont le choix de ce brillant universitaire. Ce n’est pas en général celui de nos autres chroniqueurs du Cercle Turgot. Tant mieux, car parce que nous ouvrons nos colonnes à toute réflexion académique originale, nous souhaitons – et nous ne le répéterons jamais assez- amener à débattre. En matière d’approche économique, j’ai bien peur que l’orthodoxie qui règne en maître ne soit bien pas la pire chape de plomb qui pèse sur toute recherche libre et toute pensée originale !

Le Général de Gaulle avait cette formule « quand la lutte s’engage entre le peuple et la Bastille, c’est toujours la Bastille qui finit par avoir tort[2] ». Encore que les bastilles idéologiques soient souvent les plus tenaces !


1. Ahmet INSEL, « Publish or Perish ! La soumission formelle de la connaissance au capital », Revue du MAUSS, 2009/1 (n° 33), p. 141-153. DOI : 10.3917/rdm.033.0141. URL : https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-141.htm.

2. Cité par Marcel Jullian, De Gaulle, traits d’esprit, 2020.

N°314 –  Les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement[1]

Philippe Naszalyi LaRSG Stratégies et innovations

Les périodes de crise ou d’incertitudes sont toujours propices aux craintes les plus folles en matière de déformation de l’information. « La Grande peur », du complot aristocratique, des « brigants » voire des « Anglois », de juillet 1789, à la suite de la prise de la Bastille, fait s’effondrer le système social de l’Ancien Régime en moins de trois semaines. Elle aboutit à cette nuit mémorable du 4 août, où Clergé et Noblesse viennent renoncer en une surenchère romantique, à tous les privilèges possibles y compris ceux des autres, les provinces, les villes, les métiers… C’est la base du principe de l’égalité en droit que portent haut les Français dans toute l’Europe grâce aux guerres que mènent la Première République puis le Consul et l’Empereur, si décrié depuis par une poignée d’imbéciles patentés, qui constituent la « médiocratie[2] » !

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Il n’est pas indifférent de rappeler à nos lecteurs que le député du Tiers-État, Pierre-Samuel Dupont de Nemours, dont la famille va faire souche et quelle souche industrielle aux États- Unis, propose d’abord des mesures coercitives contre ces paysans qui brûlent les « terriers » et parfois les châteaux ! Puis, dans l’emballement de cette nuit où tout l’ordre social semble vaciller, il suggère de supprimer les « droits vexatoires[3] » pour préserver la propriété ! Qu’on se rassure, quelques jours plus tard, le 26 août, le droit de propriété figure bien en bonne place comme un droit inaliénable[4]. Le clergé seul, se verra en fait, et plusieurs fois dans l’histoire, privé de ce droit ! Voltaire ou Diderot comme on le voit plus loin, ont influencés les esprits de ces constituants des Lumières !

Nul de nos jours, ne remet en cause cette abolition des droits féodaux, qu’à la pointe des baïonnettes, jusqu’à Moscou, les Français ont imposé à l’Europe. La méthode, vue d’un salon germanopratin ou d’un studio de télévision, est sans doute, très, voire trop « radicale » ! « Radical », voilà bien tant de belles âmes pour ce qui n’aurait même pas choqué une rosière, il y a 50 ans ! La période qui voit s’accroître les pires inégalités, est prude en matière d’expression politique et sociale ! Et pourtant si l’on s’émeut beaucoup de nos jours pour tout, voire son contraire, le sort des plus de 500 sans-abris (621 morts en 2021)[5] qui meurent de froid et de faim dans Paris chaque année, n’intéresse pas, le summum du « prêt à bien penser » qu’est l’émission de TMC, « Quotidien[6] ». C’est elle, la plus vue à cette tranche d’horaire, qui nous abreuve chaque soir tout particulièrement des « riches heures » mais aussi des larmes, – c’est important les larmes –, de quidams américains, présentés comme des stars. Il faut bien conforter la caste des bien-pensants repus au conformisme du colonisateur étatsunien !

Il est vrai que c’est feu le patron de ce grand groupe télévisuel, TF1, propriétaire de TMC qui déclarait sans ambages : « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » et justifiant par avance « Quotidien », Patrick Le Lay (1942-2020) poursuivait : « Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise[7]. »

Manipulation, matraquage, publicité, diffusion de « fake news », propagande, sont de tout temps. Évidemment les progrès des technologies de l’information font craindre, avec les neurosciences que l’on fasse des pas de géants dans le « viol de foules ». L’ouvrage[8] du microbiologiste russe Serge Tchakhotine (1883-1973), l’un des pères de la « psychologie des masses » dans la lignée de Gustave Lebon distingue bien une bonne propagande, « saine », celle des démocraties et une, « nocive », celles des dictatures fascistes, nazies ou communistes aux variantes bolcheviques qui deviendront soviétiques, chinoises, vietnamiennes, éthiopiennes ou cambodgiennes pour se limiter à quelques-unes dans la longue liste des plus sanglantes !

Mais enfin, n’existe-t-il pas aussi de la propagande ou de la désinformation dans nos démocraties ?

Si l’on se reporte au passé, où classer les manipulations du grand Voltaire, l’un des inspirateurs des Lumières ? Pour détruire l’influence de l’Église qu’il abhorre, il invente, dans son Dictionnaire philosophique (1764), le mythe du dogme religieux de la « terre plate[9] ». Dans le même ordre d’idée où classer également l’invention, par son comparse Diderot, d’un pseudo « martyr de la terre ronde » en la personne de Galilée ?

Si l’Inquisition d’Urbain VIII a bien condamné Galilée, ce n’est évidemment pas à propos de la rotondité de la terre admise par tout le monde depuis plus de 2500 ans comme deux remarquables historiennes ont eu le courage de le démontrer dans une enquête passionnante à lire, parue en octobre 2021[10].

Mais ces deux « fake news » ont tellement prospéré au xixe siècle avec les différents anticléricalismes et, il faut le dire, quelques Pontifes romains peu ouverts, puis au xxe siècle des dictatures athées, que presque personne ne remet en cause ces faussetés historiques inventées au xviiie siècle. Même le saint Pape Jean-Paul II, de la même patrie pourtant que Copernic, a dû, avant le deuxième millénaire, reconnaître une culpabilité de l’Église dans une affaire où la faute n’est certainement pas là où les masses, et même, nombre de ceux qui pensent savoir, la croit.

Les idées fausses ont bien la vie dure, la Renaissance, terme que l’on voit reparaître récemment, a inventé la « légende noire » d’un Moyen-Âge, obscurantiste et superstitieux. Pas plus le talent d’une Régine Pernoud[11] et avec elle, celui de nombreux et brillants médiévistes n’a pu éradiquer la fausseté des idées propagée par les hommes de la Renaissance dont il faut donc toujours se méfier !

Même en ce xixe siècle scientiste, Vrain-Lucas[12] peut vendre au grand mathématicien Chasle, notamment deux fausses lettres de Pascal indiquant que ce dernier a découvert la « loi de la gravité universelle » avant Newton. L’auteur du célèbre théorème fut défendu par l’Académie française, heureuse comme ses commensaux de l’Académie des Sciences de cette découverte nationale avant les Anglais !

Que dire encore des affabulations d’un Secrétaire d’État étasunien, Colin Powell, au sein même du Conseil de Sécurité des Nations Unies, le 5 févier 2003 ? Et pourtant, l’homme présentait tous les critères de l’honorabilité par sa brillante carrière militaire comme par son appartenance aux minorités ethniques de ce pays. Une nation qui ne se remet toujours pas de l’esclavage et de la ségrégation raciale quelle continue de vivre et qu’elle exporte comme tous ses malaises depuis un siècle, à une partie de ce que l’on a peine à appeler notre « intelligentsia », tellement déculturée qu’elle en accepte cette colonisation intellectuelle !

Et pourtant, certaines fausses informations produisent d’heureux effets comme on l’a vu plus haut, avec l’abolition des privilèges en 1789 ! Voilà bien toute la difficulté du sujet, surtout dans une société où l’émotionnel a remplacé à peu près partout la connaissance et la logique !

À quels experts alors se fier ?

Faut-il suivre le pessimisme du philosophe québécois Alain Deneault qui pense que « l’expertise consiste de plus en plus souvent à vendre son cerveau à des acteurs qui en tirent profit[13] » ?

Les idées reçues, c’est-à-dire « les caprices téméraires de la volonté » comme le dit si bien Pascal, fonctionnent « sans le conseil du raisonnement » dans nos démocraties aussi, et je dirais de plus en plus !

Il y a donc bien lieu que, dans le domaine qui est le leur, les sciences de gestion essaient d’appréhender la connaissance des caractéristiques des réponses des êtres humains aux stimuli cognitifs et émotionnels qu’ils reçoivent. On pourrait imaginer de prime abord que seul le marketing répond à cette question.

C’est effectivement l’objet du second dossier de ce deuxième numéro de 2022, composé de quatre articles : « consommation, consommateurs et utilité sociale » ! Comme dans le numéro précédent, notre champ d’application est le monde.

Trois auteurs français et québécois dont nous tenons à saluer la mémoire de l’un d’entre eux, le Professeur Gabriel Mircea Chirita, qui nous a quitté, ouvrent une idée quasi neuronale avec la molécule du métabesoin qui devrait permettre aux entrepreneurs de mieux répondre aux besoins complexes des consommateurs (page 51) ! La performance des services financiers au Burkina Faso (page 63), l’identité, les valeurs et la transmission chez les propriétaires de marques allemandes Volkswagen et Porsche (page 71) et les dépenses vertes dans les PME camerounaises qui suit l’article du précédent numéro[14] (page 81) apportent des éléments d’analyse complémentaires.

Mais le marketing n’est pas loin de là, le domaine de réflexion de notre thème. Nous l’avons rappelé les nouvelles technologies sont souvent vues comme un accroissement des moyens de manipulation. En cette période électorale en France comme en Slovénie notamment, il n’est pas inutile d’offrir une réflexion sur la possibilité que présente Internet pour lutter contre l’opacité des organisations publiques (page 11). La mise en œuvre de l’orientation du marché par l’orientation des technologies de l’information appliquées cette fois aux PME manufacturières françaises et québécoises (page 21) et la qualité du service perçue de la part d’une plateforme virtuelle d’apprentissage sur les réactions des apprenants (page 41) sont les deux approches additionnelles de ce chapitre consacré à « l’information au service des organisations ».

Alors le cerveau est-il cette part « offerte à Coca-Cola » ou « aux besoins des entreprises » comme aime à le répéter le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton[15], voilà bien une question majeure philosophique, politique, anthropologique… et cela concerne bien les sciences de gestion.

Le cerveau est bien un enjeu ! Le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI), de l’OCDE intitulé « Sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau » a été lancé en 1999. Le but premier de ce projet novateur était d’encourager la collaboration entre, d’une part, sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau, et, de l’autre, chercheurs et décideurs politiques[16].

Comme toujours, appuyé sur les faits, les études de cas, nous espérons avoir sélectionné un ensemble de contributions qui, par petites touches, apportent modestement quelques éléments de réponse de la science de gestion.


1. Pascal, Pensées, éditions Didiot, 1896.djvu/329.

2. Alain Deneault, La médiocratie. Montréal, Lux, 2015, 221 pages.

3. Jean-Pierre Hirsch, La nuit du 4 août, Paris, Folio histoire, 1978, 432 pages.

4. Article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

5. http://www.mortsdelarue.org/spip.php?article14.

6. Quotidien, émission de télévision française d’information et de divertissement quotidienne diffusée en première partie de soirée depuis le 12 septembre 2016 par TMC, chaîne du Groupe TF1.

7. Patrick Le Lay, in Les Dirigeants face au changement, baromètre 2004, Éditions du Huitième Jour, 120 pages.

8. Le Viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1939, 270 pages.

9. Page 272.

10. Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony, La Terre plate. Généalogie d’une idée fausse, Paris, Les Belles Lettres éditions, 2021, 280 pages.

11. Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 1977, 162 pages.

12. Gérard Coulon, Signé Vrain Lucas ! : La véritable histoire d’un incroyable faussaire, Arles, Éditions Errance, coll. « Le cabinet du naturaliste », 4 février 2015,

191 pages.

13. https://luxediteur.com/pourquoi-les-mediocres-ont-pris-le-pouvoir/, 5 septembre 2019.

14. Pascal Bello, Jules Roger Feudjo, « Les dépenses vertes : quelle lecture pour les dirigeants des petites et moyennes entreprises camerounaises ? », La Revue des Sciences de Gestion, n° 313, janvier-février 2022, p. 77-90.

15. Guy Breton – Recteur de l’Université de Montréal, « Alors tant mieux si la formation qu’on leur offre peut lancer leur carrière ! En cela, je réitère que les cerveaux doivent répondre aux besoins des entreprises » https://www.ledevoir.com/opinion/idees/336258/la-replique-developpement-universitaire-a-propos-des-cerveauxet-des-entreprises.

16. Comprendre le cerveau : naissance d’une science de l’apprentissage, OCDE 2007 http://www.vaucluse.gouv.fr/IMG/pdf/Comprendre_le_cerveau_cle6fb68c.pdf.

SPIIL : nouvelle équipe de direction

L’assemblée générale du Spiil a élu un nouveau bureau le 24 mars 2021 pour accompagner les projets de développement du Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne, auquel LaRSG adhère.

Logo du Spiil, Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne

Nouveau bureau du Spiil

Pour succéder à Jean-Christophe Boulanger, le bureau a créé en son sein une co-présidence paritaire assumée par Cécile Dubois et Laurent Mauriac.

Le nouveau bureau a adopté la répartition suivante des rôles  :
– Cécile Dubois, 94 Citoyens : co-présidente 
– Laurent Mauriac, Brief.me : co-président 
– Laurène Bounaud, Disclose : secrétaire générale
– Pierre-Yves Platini, Mind média : trésorier 
– Augustin Naepels, Les Jours : vice-président chargé des affaires institutionnelles
– Julien Vinzent, Marsactu : vice-président chargé des relations adhérents

Sont également élus au sein du bureau :
– Stéphane Alliès, Médiapart : chargé de l’examen des candidatures au Spiil et futur suppléant à la CCIJP
– Gabrielle Boeri-Charles, Binge Audio : représentante du Spiil auprès de la CPPAP et chargée de l’animation de la communauté podcasts
– Maurice Botbol, Indigo publications : chargé des sujets institutionnels 
– Jean-Christophe Boulanger, Contexte : groupe de travail Europe et international
– Pierre France, Rue89 Strasbourg : chargé du référencement des prestataires et relais des actions d’éducation aux médias 
– Isabelle Germain, les Nouvelles News : représentante à l’Afdas
– Marie Hédin-Christophe, La Lettre du Musicien : chargée de sujets institutionnels
– Alexis Nekrassov, Agence du Fil : coordinateur social, représentant à la CCIJP
– Benjamin Sabbah, Worldcrunch : représentant auprès du FSDP
– Jacques Trentesaux, Mediacités : chargé de l’organisation de la Journée de la presse indépendante
– Béatrice Vannière, Têtu Ventures : chargée de la structuration de l’offre de services du syndicat et du recrutement d’adhérents.

Le nouveau bureau remercie Jean-Christophe Boulanger, président de 2015 à 2021, pour son investissement considérable qui a permis au Spiil de se développer fortement et de faire connaître ses combats.

Après plus de 11 ans d’existence, le Spiil connaît une attractivité et une influence croissantes. Le syndicat regroupe désormais 225 éditeurs de presse indépendants et près de 300 publications. Le Spiil est force de proposition dans le débat public pour défendre une conception vivante du pluralisme et l’indépendance de la presse, qu’il s’agisse du renforcement des critères de reconnaissance de la CPPAP, des droits voisins ou encore de la défense de la liberté de la presse dans le cadre des projets de loi confortant les principes de la République et sécurité globale. 

Les nouveaux élus vont poursuivre la mise en œuvre du plan de développement ambitieux du syndicat pour les 10 prochaines années. 

La stratégie du Spiil

Cette stratégie s’articule autour de trois axes : 
– Le renforcement de l’offre de services.
– Les combats pour la défense de l’indépendance, de la transparence, de l’innovation et de l’équité entre les formes de presse, constitutifs de l’identité du Spiil. 
– L’élargissement de l’influence du syndicat à l’échelle européenne pour peser face aux plateformes. 

Pour accompagner ce nouveau bureau, le Spiil pourra compter sur une équipe étoffée.  Anne-Claire Marquet, directrice depuis novembre 2020, sera bientôt rejointe par Max Boire, chargé de mission relations adhérents.

Le droit de la presse menacé par le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté

Le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, tel qu’issu de la commission spéciale du Sénat, comporte plusieurs dispositions qui mettent en danger la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les organisations professionnelles de la presse alertent sur la nécessité de préserver la cohérence de cette loi, qui organise l’équilibre entre les garanties individuelles et la protection des libertés fondamentales en démocratie, toujours pertinente à l’ère des médias numériques.

Comme l’ensemble des syndicats d’éditeurs de presse l’ont encore souligné l’année dernière, la loi de 1881 est régulièrement menacée, dans une inspiration qui traduit une certaine méfiance à l’égard de l’information en ligne. Ses dispositions en matière de défense de la liberté d’expression comme d’engagement de la responsabilité des médias sont pourtant essentielles à notre vie démocratique. Son équilibre complexe, validé par une abondante jurisprudence, doit être pleinement préservé, comme le Conseil Constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme le rappellent régulièrement.

Une perte d’autonomie du droit de la presse en élargissant la compétence du juge civil

Le texte en discussion prévoit de permettre au juge civil de requalifier un délit de presse. Le Sénat y ajoute la possibilité d’une réparation des préjudices nés des abus de la liberté d’expression sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun (article 1382 du Code civil), alignant de ce fait les délais de prescription.

Ainsi  pourraient être attaqués tous les propos ou articles estimés négatifs ou péjoratifs qui ne constitueraient pas une infraction à la loi sur la presse.

La nature pénale et la philosophie de la loi de 1881, basée sur une énumération d’infractions très précises, seraient ainsi entamées. Elles sont pourtant fondamentales à la protection de la liberté de la presse, par les garanties que les procédures offrent à la défense.

Une modification dangereuse du délai de prescription pour la presse en ligne

Aujourd’hui, le délai de prescription en matière de délit de presse (papier ou numérique) court à compter du premier jour suivant la mise à disposition des utilisateurs du message.

Le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté issu de la commission spéciale repousse, pour la presse numérique uniquement, le point de départ du délai de prescription au jour où cesse la mise à disposition du public du contenu mis en cause.

Cette disposition est doublement dangereuse :

  • Elle crée une discrimination injustifiée entre presse imprimée et numérique.
  • Dans les faits, elle supprime la prescription, puisqu’une publication en ligne a vocation à rester accessible sans limite de temps. Ce faisant, elle porte gravement  atteinte  aux équilibres du droit de la presse, sans atteindre le cœur du problème : les abus sous couvert d’anonymat.

Cette modification est en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel qui avait censuré une disposition identique dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Si les abus constatés sur les réseaux sociaux appellent une réponse adaptée, cet objectif poursuivi par les sénateurs ne saurait être mis en œuvre au détriment de l’exercice de la liberté de la presse qui, elle, s’exerce en toute transparence.

Toute évolution de la loi de 1881 ne saurait en outre être élaborée sans concertation avec ses parties prenantes.

Les organisations professionnelles de la presse demandent donc au Parlement et au Gouvernement de ne pas porter atteinte à ces équilibres essentiels à la liberté d’information au détour d’une loi adoptée en procédure accélérée dont l’objet est éloigné du droit de la presse.

droit-de-la-presse

Communiqué commun du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), du Syndicat de la presse quotidienne départementale (SPQD), du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), de la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), de la Fédération de la presse périodique régionale (FPPR), du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) et du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (GESTE)

n°252

Editorial : « Une revue, une Entreprise et le Marketing »

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

Philippe NaszalyiCela pourrait être le titre d’une fable !
Ce dernier numéro de 2011 est tout entier dédié à différentes approches du « Marketing », cette discipline de la gestion, que nous devrions appeler « mercatique » depuis 1987. Toutefois, parler de mercatique, ne nous semble pas n’être que l’utilisation d’un terme francophone. Il sous-tend une réalité idéologique.

Nous pensons que la francisation du mot ne serait pas neutre, mais bien une allégeance à un système d’organisation économique, qui par son imprégnation libérale, reste si proche du système économique dominant anglo-saxon. Cette « idéologie marketing » que décrit fort bien Gilles Marion, aux « pratiques et (…) schématisations, pour
l’essentiel inspirées d’outre-Atlantique », mais dont « la diffusion (…) en France est décalée par rapport au modèle américain du capitalisme » 1, plus connu sous l’appellation de « marketing management », au service du profit seul. En effet, comme P.-F. Drucker, nous estimons que le gain financier, « ce mal nécessaire », ne devait pas primer sur la création de valeur2.

Tel est le « credo » de notre revue de recherche en gestion qui, rare parmi ses consoeurs, est une véritable entreprise, fonctionnant, non de subventions, d’adossements divers et variés, mais bien de son lectorat, de ses abonnements, puisque la publicité n’est pas tournée vers la presse spécialisée dans le domaine de la Recherche.

Une entreprise… de Presse

Mes prédécesseurs, aujourd’hui décédés, et que je salue pour leur intuition, pensaient que l’on ne parle bien de gestion et de management que lorsque l’on n’en est pas éloigné. Ils ont donc fait, après un adossement initial, sur un organisme de formation, l’Institut français de gestion (IFG), de « direction et gestion », éditeur
de La Revue des Sciences de Gestion, une « SARL de presse », soumise comme toute entreprise aux règles qui sont celles de l’économie et du marche.
Quand nous rejetons, la « gestion » hors-sol, de certains, ou l’inféodation d’autres à des influences prégnantes de structures, idéologiquement ou financièrement marquées, nous savons le prix de
l’indépendance et de l’ostracisme qui vise celui qui entend ne pas passer sous les fourches caudines de la recherche serve et sclérosée, des amateurs de copinage ou des sectateurs du conformisme…

Tout comme pour parler de gestion, nous pensons qu’être une entreprise réelle avec les obligations qui sont siennes, est un plus. De même, nous pensons que pour être une revue, c’est-à-dire, appartenir à la « presse », il faut en respecter les critères et les obligations et se soumettre au contrôle régulier des organes prévus par la loi,
et adhérer aux organismes représentatifs de la presse française, dans la spécialité professionnelle qui est nôtre. C’est ce que fait notre revue depuis sa création. Une étude réalisée, en décembre 2011, par l’IFOP pour la FNPS, vient nous confirmer dans le bon choix que nous avons fait de sérieux et de crédibilite3.

C’est ce sérieux, cette indépendance, cette reconnaissance internationale, puisque l’American Economic Association (ECONLIT), notamment nous a fait le plaisir de nous agréger à ses publications reconnues, alors que nous prônons, à juste titre, et la francophonie, et l’internationalisation de la connaissance et de la diffusion qui nous font obligation de publier, « in extenso », et en fac-similé, la décision ou « Arrêt de la Cour d’Appel » de Lyon du 26 mai 20114, devenue « définitive », au sens juridique du terme, par le certificat de « non pourvoi » de la Cour de Cassation en date du 25 août 2011.

La seule Revue des Sciences de Gestion

Depuis 2005, en effet, une revue lyonnaise nous contestait, le droit d’être La Revue des Sciences de Gestion, direction et gestion des entreprises, et nous demandait une forte indemnité. Nous n’avons eu alors qu’une solution possible, celle de défendre notre bonne foi. Par deux fois, la Justice nous a donne raison.

L’indépendance que nous revendiquons, était aussi au prix de ce combat qui pouvait heurter certains caciques peu habitues à ce que l’honneur, le bon droit ou la simple justesse des faits soient défendus.

Nous ne concevons pas la publication, par une rigoureuse sélection, de la recherche, comme autre chose qu’une complémentarité de travail. Mais si certains entendent disputer, notre titre, nous ne sommes pas prêts à nous laisser égorger, sans rien dire, comme des moutons. Le renoncement ou les combines ne sont jamais, à nos yeux, autre chose qu’une « collaboration », avec la connotation que ce mot a pris, depuis 1940, à cette paix corporatiste. Cela ne veut évidemment pas dire non plus que nous vouons aux gémonies ceux qui ont
répondu, de bonne foi, à certaines sirènes.

Pour nous, la chose est jugée, et sauf demandes particulières, nous entendons ne pas y revenir, afin de préserver la juste sérénité qui sied a la Recherche.

Une Rédaction collégiale

Nos lecteurs depuis le dernier numéro, ont compris que la Rédaction, dont nous préparions, in pectore, depuis plusieurs années, la mue, est
désormais publiquement collégiale.

Un Conseil Restreint de Rédaction dont la coordinatrice est Aude d’Andria qui a déjà été la Rédactrice en chef de plusieurs cahiers ou numéros, est désormais public. Il vient appuyer la démarche sans cesse innovante que nous voulons pour cette revue. Si le directeur de la publication demeure, comme la loi sur la presse l’exige, nous
avons pensé, en le rodant depuis quelques années, que le Rédacteur en chef, pouvait ne pas être un individu permanent, mais un collectif de chercheurs de haut niveau. Cela bouscule un peu les habitudes et obligera les organismes attachés à des certitudes traditionnelles et conformistes, à revoir leurs analyses et leurs définitions. Et c’est tant mieux, tant nous étouffons sous la chape de plomb de cet académisme qui n’est en rien comparable avec la recherche académique que nous entendons, elle, comme par le passé, défendre et promouvoir.

Eric Séverin (Professeur des Universités, Université de Lille 1, Laboratoire LEM (UMR CNRS 8179) et Damien Bazin (Maître de Conférences HDR Université de Nice Sophia Antipolis), aux cotes d’Aude d’Andria, officiaient depuis plusieurs années, in peto. Qu’ils trouvent ici, « avec la lumière », l’expression de notre gratitude renouvelée et amicale.

Je remercie vivement, les éminents chercheurs qui ont accepté d’êtres parties prenantes de la rédaction de cette revue à nos côtes :

– Sylvie Chevrier, Professeur des Universités, Université Paris Est Marne la Vallée,
– Ulrike Mayrofer, Professeur des Universités, Université Jean Moulin, Lyon 3, Directrice de la Recherche de l’IAE de Lyon Centre Magellan,
– Katia Richomme-Huet, Maître de Conférences HDR, Professeur Associe à EUROMED Management, Chercheur au Laboratoire CELL – GRIDS,
– Patrice Laroche, Professeur des Universités a l’ISAM-IAE Nancy, Directeur du CEREFIGE,
– Frédéric Le Roy, Professeur des Universités, Université Montpellier I-ISEM (Institut des Sciences de l’Entreprise et du Management) et Groupe Sup de Co Montpellier, directeur de MRM-ERFI
(Equipe de recherche sur la firme et l’industrie)
– Jean-Philippe Lhernould, Professeur de droit privé à l’Université de Poitiers, expert auprès de la Commission européenne
– Karim Messeghem, Professeur des Universités, Université Montpellier 1 – MRM, (Montpellier recherche management), Directeur du Labex Entreprendre.

Dès les prochains numéros, nous systématiserons la visibilité de cette pratique collective et individuelle que nous entendons promouvoir.

Un numéro consacré au marketing

Et, puisque ce numéro est le fruit de la réflexion et de la pratique du Professeur Alexandre Baetche qui dirige depuis des années notre « Comité des Sages », le Comité Scientifique de Lecture, que nous ne remercierons jamais assez pour son implication permanente, est essentiellement un numéro de « marketing », empruntons, encore une fois à Gilles Marion, non sans un clin d’oeil paradoxal, notre conclusion : « La doctrine traditionnelle du marketing management reconnaît l’orientation client comme le noyau dur du marketing
puisqu’elle conduit à un double résultat positif : la satisfaction du client et la performance de l’entreprise ». Notre revue qui est une entreprise, a bien cette ambition de satisfaire ses
clients que sont ses lecteurs !


1. Gilles Marion, « Ideologie et dynamique marketing : Quelles responsabilités ?, Décisions Marketing, n° 31 juillet-septembre 2003, page 50.
2. P.-F. Drucker “The Post-Capitalist Society”, Harper & Collins, 1993, « Au-delà du capitalisme, La métamorphose de cette fin de siècle », Collection : Stratégies et Management, Dunod 1993 –
240 pages.
3. Voir page 79.
4. Voir page 123.

n°253

Editorial : « Gérer autrement, une autre exigence d’efficacité et de responsabilité ! »

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

Philippe NaszalyiNous l’annoncions dans le dernier numéro de 2011, il n’y a plus d’ambiguïté, sauf pour ceux que la confusion, la connivence et le copinage arrangent. Dans les revues de recherche en gestion, désormais seule la nôtre est à juste titre la seule revue des sciences de gestion.

C’est une décision définitive de la Cour d’Appel de Lyon, saisie, non par nous, mais, par chacun des appelants, c’est-à-dire ceux qui nous contestaient notre titre et notre revue, à savoir « M. Henri SAVALL ès qualité de directeur de publication de la revue intitulée « Revue Sciences de Gestion », la Société civile Ingénierie du management socio-économique dite INDUMASE, chez Madame ZARDET et l’Association pour la promotion de l’analyse socio-économique des entreprises et des organisations (APASEOR). »

La Cour d’Appel a effet considéré que : « Ce préjudice a été généré par l’usage et l’utilisation, par chacun des appelants qui voulait en bénéficier, faits sciemment de manière fautive, déloyale et de concert, en publiant sous ce vocable des revues et autres documents en toute connaissance de cause de l’antériorité, dans un même secteur d’activité et de recherche, pouvant ainsi créer sciemment un risque de confusion chez les lecteurs, mêmes avertis »…

Et puisqu’il y avait eu appel, c’est qu’une décision de justice avait déjà été rendue :

En effet, « La Cour confirme le jugement du 26 novembre 2009 en toutes ses dispositions sauf celles qui font référence à l’article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle qui doit être retranché ; à savoir : …
– « Dit que la S.a.r.l DIRECTION ET GESTION bénéficie d’une antériorité d’usage sur le titre La Revue des Sciences de Gestion…
– Prononce la nullité de la marque semi-figurative Revue Sciences de Gestion déposée par la société INDUMASE le 30 août 2004 auprès de l’I.N.P.I. sous le numéro 3310289 ;
– Dit la présente décision sera transcrite auprès de l’I.N.P.I à l’initiative de la partie la plus diligente ;
– Fait interdiction à la Société INDUMASE et à l’Association A.P.A.S.E.O.R, sous astreinte provisoire de 150 euros par infraction constatée… de faire usage de la marque Revue SCIENCES de GESTION
;
– Condamne in solidum la Société INDUMASE, l’Association A.P.A.S.E.O.R et Monsieur SAVALL à payer à la S.a.r.1 DIRECTION ET GESTION la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à ses droits sur le titre LA REVUE DES SCIENCES DE GESTION ;
– Condamne in solidum la Société INDUMASE, l’association A.P.A.S.E.O.R à payer, à la S.a.r.1 DIRECTION ET GESTION la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure
civile ;
– Condamne in solidum. la Société INDUMASE, l’Association A.P.A.S.E.O.R et Monsieur SAVALL aux entiers dépens ; … »1

pour nous, c’était affaire de droit et de principes, pas affaire de marchands. Nous sommes heureux que la Justice par deux fois, et de manière définitive, ait mis fin à une situation qui n’était en rien favorable à la reconnaissance de la recherche en management française et qui lui a causé un tort considérable.

Espérons que tous appliqueront désormais ce qui est un jugement en droit !

Notre revue dont un numéro sur deux est lu hors de l’Hexagone et dont un auteur sur deux n’est pas de nationalité française, mais bien
francophone, est fière d’avoir pu faire condamner le plagiat et obtenir de la Justice que la qualité que les organismes étrangers lui reconnaissent, soit enfin établie en France ! Notre philosophie n’est toutefois pas celle du Vae victis ! (Malheur aux vaincus !).

Nous pensons depuis toujours, que la Recherche s’enrichit d’avantage de complémentarité que de concurrence débridée ou de compétition exclusive de l’autre. Depuis l’origine, nos collaborations multiples avec d’autres revues et notre ouverture aux disciplines connexes, en sont la preuve éloquente.

« Bien faire et laisser braire » est le pendant populaire à la phrase scripturaire bien adaptée « Laissez les morts enterrer les morts »2 ce qui nous permet en douze articles, sinon « d’annoncer le Royaume de Dieu », plus modestement, de proposer une réflexion managériale innovante !

C’est ce à quoi ce premier numéro de 2012 entend répondre !

Nous avons maintes fois attesté que la recherche et sa publication doivent prendre une dimension collective, puisque notre revue n’a pas un « Rédacteur en chef » au sens commun du terme, mais un collectif qui décide : « le Conseil Restreint de Rédaction ». Il charge chacun d’entre ses membres ou parmi des « Rédacteurs en chef invités », de diriger un numéro, un dossier ou un cahier spécialisé qu’il introduit.

Nous avons déjà, depuis plusieurs années, lancé cette innovation de rédaction collective, elle s’incarne plus complètement encore dans ce numéro où :

– Sylvie Chevrier, membre de notre « Conseil Restreint de Rédaction », a pris la responsabilité de présenter le dossier : « Gérer autrement » (page 13) qui reprend après de nombreux « allers et retours » avec les auteurs, les six meilleurs papiers d’un colloque aux très nombreuses contributions, organisé le 24 juin 2011, à l’Université d’Evry et que nous avions parrainé. L’une des idées fortes de notre publication et la philosophie de notre revue est bien cette « ardente obligation », pour reprendre non sans un clin d’œil, les termes de Jacques Rueff, de chercher toutes les voies novatrices en matière de management, tant l’échec du système actuel est patent, malgré ses thuriféraires dévots
ou intéressés, mais aussi, ne nous le cachons pas, béotiens ! (La Grèce pour son infortune, est à la mode !)
– C’est donc aussi tout naturellement ouverts, le plus largement possible à cette jeune recherche qui tâtonne parfois, mais se veut inventive et pragmatique, ce qui devrait être un leitmotiv en
gestion (l’allemand est à la mode aussi !), que nous avons confié à Serge Guérin3 et Yoann Bazin de l’« ESG Management school », en partenariat avec l’Université de Bretagne-Sud, de diriger
et de présenter (page 67), un cahier consacré à la Responsabilité sociale (sociétale ?) des entreprises(RSE) que nous concevons dans une acception beaucoup plus large que le « développement vert ». Dans les six contributions présentées, praticiens et académiques apportent leurs analyses, leurs conclusions voire leurs interrogations grâce à une ouverture aux mondes les plus variés voire les plus lointains.

Notre tâche d’éditeur de La Revue des Sciences de Gestion est de continuer à faire normalement notre métier de facilitateur de Recherche innovante et de simple faire-valoir à nos auteurs, venus de tous les horizons et ouverts à l’expérimentation multiculturelle, hors des chapelles et de la recherche stipendiée, plagiaire, serve ou mercantile comme cela est reconnu, notamment outre-Atlantique4 !

Gérer autrement est bien une autre exigence d’efficacité et de responsabilité » !

C’est celle que La Revue des Sciences de Gestion, seule à avoir droit à ce titre, entend développer…


1. L’intégralité de la décision de la Cour d’Appel de Lyon figure dans le numéro 252 (novembre-décembre 2011), mais plusieurs lecteurs nous pressaient de publier les termes mêmes des décisions du TGI de Lyon du 26 novembre 2009, approuvées par l’Arrêt ainsi rendu, et devenues définitives. Nous nous acquittons bien volontiers de cette mission complète d’information.
2. Luc 9, 60 : 60. « Dixitque ei Iesus sine ut mortui sepeliant mortuos suos tu autem vade adnuntia regnum Dei »
3. Serge Guérin, Professeur à l’ESG MS, président d’Imagine 2012 et Virginie Votier, Trésorière de Générations Engagées, ont animé un débat : « Nucléaire : et maintenant ? Economie et/ou écologie : quels choix possibles ? », dans la perspective de l’élection présidentielle française, le 21 février dernier, avec la participation de Corinne Lepage, ancien Ministre de l’Ecologie, Jean-Luc Bennahmias, Eurodéputé, vice-président du Mouvement Démocrate (MoDem), Marie-Hélène Aubert, chargée du pôle Energie-Environnement-Développement durable de la campagne de François Hollande, candidat du Parti socialiste, Denis Baupin, Adjoint au Maire de Paris en charge du développement durable, de l’environnement et du plan climat, Jean-Paul Deléage, Docteur en histoire de l’écologie et fondateur de la revue « Ecologie et Politique » et Ben Cramer, Membre du conseil d’administration du Bureau international de la paix, vice-président de l’Association des journalistes de l’environnement – AJE. http://www.generationsengagees.fr/?p=4718
4. http://www.erudit.org/revue/remest/2010/v5/n1/039357ar.pdf

n°254 La Revue des Sciences de Gestion – Sommaire

Crise ? Vous avez dit : « Crise » ?
par Philippe Naszályi

I CrIse et envIronnement InstItutIonnel

La rentabilité des entreprises sous protection judiciaire
par Xavier Brédart et Alain Finet

Les réformes européennes du cadre législatif des agences de notation à la suite de la crise des
subprimes
par Faïza Bouguerra Gentile

Régimes douaniers économiques et compétitivité des petites et moyennes industries des départements français

d’Amérique
par Katie
Lanneau

La culture et le recours aux IAS/IFRS
par Salma Damak Ayadi et Rahma Ben Salem

L’asymétrie informationnelle autour des annonces de bénéfices : le cas du marché
français
par Waël Louhichi

II CrIse et antICIpatIons organIsatIonnelles

Contribution à l’étude du slack* organisationnel : le cas des dépenses d’investissements dans une grande

entreprise industrielle
par Gilles David

Une entreprise mature décide d’accompagner une jeune entreprise potentiellement concurrente : Quelles motivations
et conditions d’émergence ?
par Katherine Gundolf, Annabelle Jaouen et Audrey Missonier

L’impact de l’intervention des administrateurs externes et de la taille du conseil sur la performance des
entreprises : Application au contexte tunisien
par Dorsaf Ben Taleb Sfar et Catherine
Léger-Jarniou

Nouvelles de la communauté des amis de La RSG

III CrIse et Comportements des Consommateurs

La « gouvernementalité » des consommateurs sous l’éclairage foucaldien
par Béatrice Canel-Depitre

Le marketing de la couleur : Etude comparative entre l’affiche en couleur et l’affiche en noir et
blanc
par Myriam Elloumi – Ayedi et Mohamed Kammoun

Diagnostic culturel : Regain d’intérêt pour des composantes trop souvent occultées. Cas d’une PME tunisienne de Télécommunications
par Lamia
Hechiche Salah

Perception de la promotion des ventes par le consommateur à travers le cas de la brochure
promotionnelle
par Mariem Daoud Moalla et Mohamed Kammoun

Spécificités des techniques promotionnelles des entreprises africaines et analyse de leurs effets
transitoires

à court et à long termes sur les ventes
par Mamoudou Halidou

Chronique bibliographique
par Jean-Louis
Chambon

n°254

Editorial : Crise ? Vous avez dit : « Crise » ?

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

Philippe NaszalyiCrise et environnement institutionnel, crise et anticipations organisationnelles et crise et comportements des consommateurs, sont autant de scansion de ce mot « crise », mot qui, depuis plus de quatre ans, pour les moins perspicaces et depuis plus de trente ans, pour ceux qui scrutent avec attention les mouvements profonds, est le mot approprié à ce stade de développement du système économique contemporain.

Mais « de quelles crises parlons-nous ? » s’interroge fort à propos l’économiste Michel Roux1, en rappelant que « crise » signifie « tamis » ou « crible » en grec ancien et que c’est donc un instrument de mesure ou de sélection.

Crise des valeurs, crise de société, crise des institutions, crise de la famille, crise financière ou économique…
Tout est désormais mis en avant pour éviter de se poser la seule bonne question qui vaille, celle de l’Homme, car il y a bien longtemps pourtant que nous savons que « le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat »2.

Il en est de même des systèmes économiques. C’est au fruit que l’on reconnaît l’arbre et que « tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu »3. Il y a plus de vingt ans, les Européens de l’Est, ont jeté au feu, un système dont il est certain qu’il ne menait pas à la prospérité et bafouait la Liberté. Il semble que l’avatar qui lui a succédé mérite de subir le même sort. « Il n’y a pas deux politiques possibles » disaient et disent toujours, ces « imposteurs de l’économie » que vient de dénoncer avec verve, mais sans doute insuffisamment, Laurent Mauduit4. Cette théorie d’enfants de chœur, plutôt thuriféraires stipendiés s’inscrit notamment dans la lignée de l’inénarrable prêt à penser souvent plagiaire, d’Alain Minc et de ses semblables. Ce même « prêt à penser » totalitaire qui vouait déjà aux gémonies, ceux qui dès 1992, avaient saisi que dans le traité de Maastricht, il y avait à la fois, l’excellente idée d’une monnaie européenne, dans la lignée du rapport Barre, et en même temps, les germes mortifères du monétarisme, hérité de l’Entre-Deux-Guerres, cher à la chancelière allemande, et onéreux, l’autre acception de « cher », pour les peuples européens. Ce n’est pas Bismarck qui ressurgit, (il faut être bien inculte pour la confondre avec ce grand chancelier), mais un composé assez approchant de la sottise impériale de Guillaume II et de la dangereuse impéritie de von Papen. En résumé, ce qui amène désastre et ruine pour l’Europe de 1914, de 1933 ou…

Ces sectateurs de la pensée unique ne comprennent pas, souvent, ou ne veulent pas comprendre, parfois, que cette « rigueur », étendue à l’Europe, est un pur sophisme économique qui ne vise qu’à favoriser le rentier, le financier plutôt que l’entrepreneur et le travailleur. Pour faire accroire à leurs fadaises, ils utilisent le procédé classique de la culpabilisation et de la morale.

« Vivre au dessus de ses moyens » est leur expression.

Cette vulgarité de termes pour désigner la conduite d’une politique, tente de masquer cette œuvre de mystification qui se donne des airs de bon sens populaire, pour mieux abuser le commun. En effet, comparer gestion du ménage et conduite d’un État n’a de sens que dans cette vulgate libérale qu’ils veulent imposer. Cela aboutit à dénier ce qui de tout temps doit être, l’assujettissement des intérêts privés à l’intérêt général qui, en démocratie, est incarné par l’État. Faire du citoyen, avant tout un consommateur, permet de nier le rôle du souverain exprimé par le suffrage. La représentation élue se trouve ainsi mesurée à l’aune du panel représentatif du sondeur ou du « mercateur » pour être ainsi délégitimée. Les quotas sont pour la démocratie, la négation même de son essence populaire. Les meilleures intentions peuvent être invoquées – et la parité en est une-, elles ne trompent que ceux qui sont prêts à tous les compromis, à toutes les compromissions pour obtenir l’agrément des puissants qui entendent profiter sans contrôle pour liquider l’État et ses
obligations. Il est étonnant depuis ces années de voir combien est hétérogène d’apparence, la cohorte de ceux qui sous diverses étiquettes politiques, servent la soupe de moins en moins équitablement partagée. L’attitude des « puissants » de cette zone euro face à l’idée, jugée démente, d’un premier ministre grec de soumettre à référendum, un plan européen, en dit long sur le
divorce entre ce système et les peuples. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que le meilleur élève est la Chine dont on reconnaîtra bien volontiers qu’elle a, avec la démocratie, une
relation lointaine !

Ni le chômage en Espagne, ni la dépression en Grèce pour ne citer que ces malheureux pays soumis au plan « Laval » de l’Europe, ne parviennent à remettre en cause les certitudes de ceux qui croient encore que quelques cataplasmes et une bonne cure de rétrécissement de l’État et des aides sociales amèneront, sinon la croissance du moins le sacro-saint équilibre qui en toute bonne théorie libérale apporte la plénitude. Comme Herbert Hoover, de qui l’Histoire n’a pratiquement retenu que son insondable « laissez-faire » qui s’exprime par un optimisme idéologique en 1932, « La prospérité est au coin de la rue ! », les échecs des politiques classiques dans les années 1930, lors de la grande crise précédente, ne les ont que partiellement instruits. L’État certes, est intervenu, mais c’était pour sauver le système bancaire. C’est une règle que George Bush (père) a appliqué en 1990 à la suite de la faillite des caisses d’épargne américaines qui témoignaient déjà, de la faiblesse du système financier laissé à ses propres règles. C’était il y 22 ans ! Le journaliste Jacques Decornoy tirait, en juillet 1990 dans Le Monde diplomatique, ce constat qui n’a pas vieilli : « Tout, estimait-on pourtant, avait été dit sur la funeste décennie passée : la fuite en avant dans les dépenses d’armement, les fantastiques endettements intérieur et extérieur, la cupidité forcenée des prédateurs conduisant à la corruption généralisée de Wall Street et à la chute symbolique de la firme Drexel Burnham, l’incapacité du pouvoir à réduire le déficit budgétaire »5 . Lehman Brothers, en septembre 2008 et cette cupidité des subprimes, les 2 milliards de dollars, voire plus, de perte de J.-P. Morgan, cette année, « l’une des banques les mieux dirigées qui soient » si l’on en croit le Président Obama qui poursuit en qualifiant : « James Dimon, son dirigeant » d’être « l’un des banquiers les plus intelligents que nous ayons »6, ont pris la relève. Faut-il rattacher à cette « corruption généralisée », la démission du directeur-général de
Yahoo7 à la suite de la découverte de « fraudes » dans son curriculum vitae ! Péché véniel si l’on en croit Naomi Oreskes et Erik M. Conway dont l’ouvrage vient d’être traduit en français8 par ce physicien émérite qu’est le Professeur Jacques Treiner. Les deux chercheurs américains y décrivent l’action des « lobbyistes » industriels qui, à coup de milliards de dollars, favorisent une stratégie destinée à éviter
toute réglementation de santé publique ou environnementale qui nuirait à leurs intérêts en semant le doute sur les études scientifiques. Car le relativisme que Platon reprochait à Protagoras, le premier « sophiste » et le premier à avoir vendu son enseignement, triomphe avec le système communautariste ou individualiste qui découle de cette présentation toujours clivante d’une société et de sa population. Cette « dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs »9. Tout est égal à tout, car l’État en système libéral est avili, « Si l’impôt, payé sous la contrainte, est impossible à distinguer du vol, il s’ensuit que l’État, qui subsiste par l’impôt, est une vaste organisation criminelle, bien plus considérable et efficace que n’importe quelle mafia « privée » ne le fut jamais. », est le credo libéral exprimé par l’économiste américain de l’École de Vienne, Murray Rothbard. Il faut dire que les hommes qui incarnent ces états, les gouvernants sont devenus souvent davantage des oligarques ou des ploutocrates tenant de lobbies, eux aussi que des hommes d’État. Le gouvernement américain sous George W. Bush (fils) et son Vice-président Dick Chenney, en est une illustration.

C’est portant loin d’en être le seul exemple, même dans de vieilles démocraties, tant sont imbriqués façonneurs d’opinions que sont journalistes, propriétaires de médias et intérêts économiques et financiers. Le conflit d’intérêts qui s’illustre notamment dans l’affaire Woerth-Bettencourt en France, semble une préoccupation éthique10, mais concerne de nombreuses affaires dont celle du Médiator, en cours d’instruction et ne trouve pas de solution légale, tant sont fortes les résistances de ces mondes étroitement imbriqués !

A qui faire confiance en effet, quand les experts médicaux émargent aux fonds des laboratoires qui produisent les substances évaluées et mises sur le marché par ces mêmes sommités scientifiques ou lorsque quelques députés ou anciens ministres font des allers-retours dans des cabinets d’avocats plus proches de cellules d’influence politico-économique que de défense de la veuve et de l’orphelin ?

Tout cela est le fruit d’un système, d’une idéologie qui l’habite et dont la moindre habileté a été même de tenter de se présenter comme indépassable, « par la fin de l’histoire » ! Or, comme Max Weber, il nous semble que les connaissances d’aujourd’hui sont toujours destinées à être dépassées, surtout en sciences humaines, puisque la société se transforme constamment. Il n’y a donc aucun modèle économique qui ne doive être discuté pour être amélioré voire remplacé. Se plonger dans la pensée de Sismondi, aujourd’hui à tort bien oublié ou étudier Karl Polanyi sont autant d’apports à une réflexion contemporaine qui ne peut opposer en permanence Keynes, résumé souvent au déficit des politiques publiques et les « Chicago Boys » dont l’action auprès d’Augusto Pinochet est bien symbolique de ce « néo-libéralisme » des conservateurs américains qui s’étend encore sur le monde, malgré les crises qu’il a engendrées.

« Au XIXet au XXsiècles, on se tuait au boulot ou on mourait de sa dureté, au XXIe siècle naissant, c’est une nouvelle organisation scientifique du travail qui tue » écrit en introduction à un fort revigorant numéro11, François Chobeaux qui s’interroge pour savoir « si l’homme pensant est encore de saison ? ».

Crise ? Vous avez dit : « Crise » ? Une question, un constat, mais aussi à la manière d’« hommes pensants », des pistes et des solutions que gestionnaires au sens le plus large du terme, « ceux qui s’occupent des autres et de leurs entreprises », apportent par les treize articles, ordonnés en trois dossiers thématiques de ce numéro de printemps qui ouvre une nouvelle perspective de réflexion et d’action car « il est temps de remettre la production avant la spéculation, l’investissement d’avenir avant la satisfaction du présent, l’emploi durable avant le profit immédiat »12.


1. Michel Roux : « Sortie de crise ou crise de sortie ? Impacts de ce contexte sur les modèles d’affaires de la sphère financière », VSE n° 189, décembre 2011, pp. 62-74.
2. Marc 2,27.
3. Matthieu 7,19.
4. Laurent Mauduit : « Les imposteurs de l’économie », Jean-Claude Gawsewitch, 294 pp. Paris, mars 2012.
5. Jacques Decornoy, « L’exemplaire faillite des caisses d’épargne américaines », Le Monde diplomatique, juillet 1990.
6. « Pour Obama, l’affaire JP Morgan illustre la nécessité de réformer Wall Street », Le Monde.fr, 15 mai 2012,
7. http://larsg.over-blog.com/article-suite-a-la-demission-du-directeur-general-de-yahoo-scott-thompson-105184095.html
8.
Naomi Oreskes et Erik M. Conway : « Les Marchands de doute Ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique », éditions Le Pommier, 524 pages, Paris, mars 2012.
9. Homélie du cardinal Josef Radzinger, Missa pro eligendo Romano Pontifice, Rome, 18 avril 2005.
10. Martin Hirsch, Pour en finir avec les conflits d’intérêts, Stock, 162 pages, Paris septembre 2010.
11. V.S.T. revue du champ social et de la santé mentale : « L’homme pensant est-il encore de saison ? », n°, 104, 4e trimestre 2009.
12. François Hollande, Discours d’investiture, Palais de l’Élysée, 15 mai 2012.

n°258 La Revue des Sciences de Gestion – Sommaire

L’argent tranquille
par Philippe Naszályi

Résumés en français, anglais et espagnol

Dossier I – Approches de la finance

Les déterminants de la maturité de la dette : le cas français
par Éric Séverin

Sources d’inefficience et ajustement asymétrique des cours boursiers
par Mohamed El Hédi Arouri et Fredj Jawadi

Actions gratuites, dividendes et microstructure du marché
par
Wissem Daadaa et Mohamed Tahar Rajhi

La place de l’investissement socialement responsable (ISR) dans le champ de la finance durable : proposition d’une grille de
lecture

par Christophe Revelli

Dossier II – Banques coopératives et mutualistes

« La banalisation de la sphère financière mutualiste : comment résister, actualiser ou affirmer ses valeurs ? ». Propos introductifs
et objectifs de ce cahier

par Michel Roux

Modèles d’affaires de la sphère financière : Pour qui ? Pour quoi ?
par Claude Béland

La spécificité démocratique des coopératives bancaires françaises
par Patrick Gianfaldoni, Rémi Jardat et David Hiez

Comment résister à l’effet de normalisation : le défi des banques coopératives
Analyse du processus de convergence de la banque coopérative française vers un modèle dominant de gouvernance
actionnariale

par Jean-Noël Ory, Andrée De Serres et Mireille Jaeger

Voyage au coeur de la gouvernance mutualiste : le cas d’une banque française
par Christine Marsal

Mesures de performance adaptées aux institutions financières coopératives : la contribution des chercheurs universitaires en tant
qu’agents de changement

par Lovasoa Ramboarisata et Andrée De Serres

Dynamique des banques coopératives dans les expérimentations du microcrédit personnel : vers une nouvelle stratégie bancaire solidaire
?

par Maryline Meyer, Valérie Billaudeau et Pascal Glemain

Chronique bibliographique par Jean-Louis Chambon

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