Modifié le 29 décembre 2014.
La crise financière a été violente en 2009. 25 % des offres d’emploi pour les jeunes diplômés ont disparu depuis l’an dernier en raison de l’obligation des sociétés à un ralentissement de leurs besoins économiques et d’un avenir incertain.
L’ampleur du déclin est « sans précédent », pour reprendre les termes de l’Association britannique des recruteurs de jeunes diplômés (AGR), et les services financiers sont au premier rang des secteurs touchés. Dans le quartier de la City, à Londres, le nombre d’emplois réservés aux débutants a chuté de 56 % dans les banques d’investissement.
Toutefois, la situation n’est pas aussi morose qu’elle aurait pu l’être car plus qu’un arrêt, c’est un ralentissement qui s’est produit. « On peut relever de positif que la plupart des entreprises ont conservé leurs programmes destinés aux jeunes diplômés, ce qui n’avait pas été le cas lors de la dernière récession », explique Carl Gilleard, directeur général de l’AGR.
La Royal Bank of Scotland (RBS) qui, cette année, a accueilli moins de jeunes diplômés au Royaume-Uni (300 au lieu de 483 en 2008), est assez représentative des ‘grandes banques’.
« Heureusement cette fois-ci, les établissements financiers n’ont pas totalement renoncé au recrutement de jeunes diplômés », enchérit Steve Huxham, président de la Recruitment Society.
« Les grandes enquêtes sont valables et utiles, mais elles ne reflètent pas entièrement la vérité étant donné qu’elles ont tendance à se focaliser sur les grandes banques. Or, beaucoup d’établissements et de boutiques plus modestes ont continué à recruter, percevant la crise comme une opportunité d’embaucher des talents qui, d’habitude, gravitent autour d’autres enseignes. »
Une certaine vitalité persiste dans le secteur mais cela fait plus de dix ans que les jeunes diplômés n’avaient pas été confrontés à un marché du travail aussi dur. La preuve en est le nombre de postulants pour les offres d’emploi réservés aux débutants. Selon l’AGR, il y aurait en moyenne 48 candidatures pour chaque poste vacant, tous secteurs confondus, mais ce chiffre passe à 76 dans le secteur bancaire et à 82 dans la banque d’investissement. Les recruteurs n’ont peut-être que l’embarras du choix mais ils ont des décisions difficiles à prendre.
Le contexte étant ce qu’il est, quelle tactique doit adopter un recruteur qui veut profiter des opportunités mais éviter les dangers ? Voici quelques conseils :
Avoir une vision à long terme
Le DANGER : le danger est l’enfermement. La tentation est inévitable : en période de crise, on se barricade pour ne laisser entrer aucun élément extérieur. Lorsqu’à la nécessité de réduire les coûts s’ajoute un volume de travail qui semble diminuer, il est facile de penser que de nouvelles recrues sont inutiles. Cependant, une telle vision à court terme peut vous placer en situation de pénurie de sang neuf lorsque les conditions s’améliorent. Vous affichez également, à votre détriment, un manque de confiance dans vos perspectives. Les recruteurs de jeunes diplômés doivent se faire violence et résister aux pressions de recul du siège. « Continuer la chasse de têtes est ce qu’il y a de plus difficile à justifier en interne pour les recruteurs des RH car leurs besoins dans deux ou trois ans sont incertains », poursuit Steve Huxham. « Leur meilleur argument est que dans une Europe vieillissante et de plus en plus concurrentielle, il risque d’y avoir une pénurie de jeunes talents. En réduisant les embauches maintenant, on risque de le payer plus tard. Il est essentiel de conserver une vision à long terme.
La meilleure façon de pérenniser les recrues est de sélectionner des candidats flexibles et adaptables, qui peuvent facilement être formés et mutés dans d’autres services au fur et à mesure de l’évolution des besoins. »
L’opportunité : c’est l’occasion de se préparer pour la relance, en sachant que la récession ne durera pas éternellement. « Les sociétés tournées vers l’avenir continuent à recruter des jeunes diplômés dans les mêmes proportions », affirme Charlie Ball, directeur adjoint de recherche au HECSU (UK Higher Education Careers Service Unit).
« Elles savent que le secteur de la finance a besoin d’un flux stable de talents, d’idées neuves et de nouveaux produits. Elles savent aussi que recruter maintenant leur évitera une pénurie de talents, le risque étant que dans cinq ou six ans, elles n’aient pas de managers expérimentés. C’est ce qui est arrivé à l’industrie informatique : après le crash des sociétés Internet, celles-ci ont cessé d’embaucher et lorsque la situation s’est améliorée, il leur a été impossible de trouver des personnes expérimentées si bien qu’elles n’ont pas pu se
développer. »
La clé pour gérer une campagne de recrutement en période incertaine est de contrôler de près l’activité de l’entreprise, en surveillant ses besoins et en adaptant rapidement la stratégie de recrutement au fur et à mesure qu’ils évoluent. « Bien que cela ne soit pas une mince affaire, nous suivons désormais les besoins de la société à intervalles hebdomadaires », confie Karen Martin, chargée du recrutement des jeunes diplômés au sein du groupe RBS. « Par exemple, comme les marchés de la finance à effet de levier sont calmes, nous avons moins besoin de jeunes diplômés dans ce secteur. À l’inverse, nous pensons que de jeunes diplômés dans des filières technologiques pourraient nous être utiles. Nous nous efforçons de réagir rapidement et de
tirer des leçons des erreurs que nous avons commises dans le passé. Voilà pourquoi, les faits et les chiffres font l’objet d’une surveillance constante en RH. Il est plus important que jamais d’être au plus près de l’activité de l’entreprise. »
protéger votre réputation
Le danger : veillez à ne pas ternir votre réputation. Si, à un moment donné, une organisation qui recrute habituellement auprès des écoles de commerce et des universités, cesse de le faire alors que son concurrent, lui, continue, sa réputation risque d’en souffrir. Le bouche-à-oreille étant très efficace chez les jeunes diplômés, les étudiants des promotions futures auront tendance à se tourner vers ce concurrent. Le risque de dommage à la marque s’applique également aux universités et aux écoles de commerce : ne détruisez pas une relation qui a peut-être mis des années à se construire. « Pensez à la rétention à long terme », explique Charlie Ball. « Si vous cessez d’embaucher des jeunes diplômés pendant un ou deux ans,
lorsque vous reprendrez votre campagne de recrutement, les nouvelles recrues auront du mal à s’adapter à cause de la différence d’âge et elles partiront. » Si le flux s’arrête et que les maillons vitaux de la chaîne manquent, les jeunes employés pourront être tentés d’aller voir ailleurs. Il est nécessaire de créer un vivier de talents dans lequel vous pouvez puiser lorsque vous en avez besoin.
L’opportunité : c’est l’occasion pour vous de vous démarquer. Vos concurrents sont moins vigilants : profitez-en ! Faites en sorte que les jeunes diplômés ne vous oublient pas. Établissez ou consolidez votre statut de marque sérieuse et fiable ayant une stratégie claire et une vision à long terme.
L’enquête 2008 des carrières choisies par les étudiants d’Oxford et de Cambridge (parue sur le site TopEmployers) montre que 2 étudiants sur 3 ayant choisi la banque d’investissement comme filière ont du mal à faire la distinction entre les employeurs. Faites en sorte d’être reconnu et reconnaissable, et le bouche-à-oreille fera le reste. Passez du temps à améliorer les relations stratégiques avec les universités et les écoles de commerce en veillant à être plus visible que jamais. Un salon de recrutement ponctuel est insuffisant. « Ces relations sont cruciales et doivent être préservées », insiste Karen Martin. « Il n’a pas toujours été facile pour RBS d’être présent sur les campus mais nous nous sommes efforcés de ne jamais interrompre nos
relations avec les universités : cela est vital pour maintenir notre statut auprès des jeunes diplômés. »
Gérer les attentes
Le danger : attention à ne pas ternir votre marque de recruteur ! Soyez positif, pensez à long terme et préparez-vous pour la relance mais soyez également réaliste quant à vos perspectives. Si la crise est grave et s’il y a peu de chances pour que des postes se libèrent, alors mieux vaut ne pas donner de faux espoirs. Si les stages ne débouchent pas sur des emplois ou si vous faites des offres que vous retirez ensuite, votre marque sera moins respectée et se verra coller une étiquette ‘peu fiable’ dont elle aura du mal à se défaire. Évitez la propagation de rumeurs néfastes concernant des revirements soudains de stratégie de recrutement, comme cela est arrivé à plusieurs banques en 2003. Il est préférable d’agir rapidement et efficacement plutôt que de laisser les gens dans l’expectative. « Il serait dommage que les jeunes diplômés vous perçoivent comme une société qui ne tient pas ses promesses », explique Charlie Ball.
L’honnêteté est la meilleure politique : c’était aussi ce que pensait Morgan Stanley lorsque la société a annoncé l’an dernier qu’elle renonçait provisoirement au recrutement en masse de
jeunes diplômés. Certes, il s’agit d’une stratégie risquée qu’il vaut mieux laisser à de grands noms comme Morgan Stanley, suffisamment confiants pour savoir que les jeunes diplômés reviendront à la minute où ils auront donné le bon signal.
L’opportunité : c’est l’occasion d’apprendre à gérer les attentes avec soin. Vous êtes le recruteur : c’est vous qui choisissez et vous n’aurez probablement que l’embarras du choix, mais veillez à ce que les candidats aient eux aussi de bonnes raisons de vous choisir. Étalez vos qualités. Les enquêtes montrent, par exemple, que l’éthique arrive en tête des facteurs les plus importants dans le travail pour la majorité des jeunes diplômés, à égalité avec l’équilibre entre le travail et la vie privée, ainsi que la diversité du travail, bien loin devant le lieu de travail, le salaire ou les opportunités internationales. D’après l’enquête 2009 réalisée par l’AGR concernant le recrutement des jeunes diplômés, un jeune diplômé sur trois pense que son employeur n’a pas répondu à ses attentes : nul doute que ce message sera transmis et diffusé.
A l’inverse, un environnement propice à l’apprentissage, valorisant l’innovation et les idées nouvelles, inspire deux fois plus de loyauté. Offrir aux étudiants plus de flexibilité, en leur donnant par exemple la possibilité de prendre des congés pour voyager ou préparer un MBA, est également une stratégie gagnante : elle vous permet de vous distinguer des autres et montre que vous êtes prêt à investir dans vos collaborateurs. Afin d’équilibrer le recrutement, des cabinets d’avocats de Londres n’ont pas hésité, au début de l’année, à verser des milliers de livres sterling à de jeunes diplômés pour reporter leur date d’embauche. Tous les cabinets d’avocats souhaitaient que les étudiants retardent leurs stages de six à douze mois au minimum. Allen and Overy, Clifford Chance, Linklaters et Eversheds sont de ces trente-neuf cabinets qui ont offert à de jeunes diplômés entre 5 000 et 10 000 livres sterling pour repousser leur stage.
De même, en début d’année, Simmons & Simmons a demandé aux stagiaires qui devaient commencer en septembre 2009 et en mars 2010 de reporter leur date d’embauche et de préparer à la place un
MBA juridique payé par le cabinet auprès du BPP College of Professional Studies. En plus d’avoir eu leurs études payées par Simmons & Simmons, les étudiants ont également perçu une bourse
d’entretien de 15 000 livres sterling pour couvrir leurs frais de subsistance.
Conclusion : l’avenir
Personne ne sait avec certitude combien de temps va durer la récession et si les bourgeons de la relance vont périr ou éclore, mais il est raisonnable de penser que le pire est derrière nous.
Même s’il ne faut guère compter sur un retour à la normale avant 2011, le secteur de la finance connaît un regain de dynamisme. Les résultats extrêmement performants de JP Morgan Chase et de Goldman Sachs confortent les optimistes – ainsi que les recruteurs de jeunes diplômés avides de persuader leur siège de laisser la chasse de têtes ouverte. Les prévisions laissent entrevoir une reprise économique en 2010 mais l’emploi mettra plus de temps à récupérer. En 2010, les niveaux de recrutement de jeunes diplômés devraient rester aussi bas qu’en 2009 pour remonter l’année
suivante. « La plupart des employeurs reviendront certainement à leurs niveaux habituels de recrutement dès les premiers signes d’une relance économique », explique Carl Gilleard. Le processus de sélection est plus crucial que jamais. Il est important de choisir des personnes flexibles qui ont envie de travailler pour vous. Une surveillance constante et étroite des besoins de l’entreprise est également primordiale. Il est conseillé d’agir tôt : « Depuis janvier 2009, nous avons donné aux candidats la possibilité de nous communiquer leur intérêt pour 2010 : nous avons donc leurs coordonnées et pouvons les contacter en cas de besoin. Il nous faut des personnes intelligentes pour accompagner la société vers l’avenir », conclut Karen Martin.
Nicol Degli Innocenti