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Où se situe aujourd’hui l’éthique de la responsabilité ? Tribune Libre de Patrick Hetzel

Avec cette pandémie liée au COVID-19, nous vivons une situation très particulière. Nous avons affaire à un danger invisible : un virus qui peut rendre malade chacun d’entre nous et même potentiellement nous emporter. Un nombre très important de concitoyens en ont souffert la douloureuse expérience dans leur chair ou celle d’un proche et certains l’ont payé de leur vie. Puissions-nous honorer la mémoire de toutes celles et ceux qui sont morts, emportés par cette terrible pandémie.

Face à cette menace invisible, il fallait aussi trouver les moyens pertinents pour lutter efficacement. Et je voudrais ici avant tout rendre hommage d’une part aux soignants qui, partout dans le pays, dans les hôpitaux, les EHPAD ou encore au domicile des gens, se sont dévoués corps et âme pour que la vie l’emporte au maximum et d’autre part, à toutes celles et ceux qui ont continué au quotidien à faire tourner le pays et permettre que la vie, même confinée se poursuive.

Lorsqu’au 17 mars, le Président de la République a annoncé le confinement général du pays et demandé l’application d’un état d’urgence sanitaire qui sera adopté par le Parlement la semaine suivante, l’urgence était de faire face, de permettre les conditions d’une cohésion nationale pour que collectivement nous fassions bloc afin de réagir de la manière la plus adaptée possible et rompre la chaîne de propagation du virus.

Et en même temps, dès la mi-mars, nombreuses sont les questions qui se sont posées. Etions-nous bien préparés ? Le gouvernement nous-a-t-il dit la vérité sur les moyens dont disposait le pays en masques, en équipements sanitaires, en tests ou encore en respirateurs pour équiper les salles de réanimation à travers le pays ? L’éthique de la responsabilité est de ne pas entraver inutilement l’action du gouvernement mais elle est aussi de rester, comme parlementaire et représentant de la Nation, en permanence un veilleur. Etre veilleur, c’est toujours se poser la question de l’intérêt général. Où se situe-t-il vraiment ? Lorsqu’on restreint nos libertés et que l’on nous assigne à résidence jusqu’à quel point est-ce légitime et à quel moment sommes-nous en train de basculer vers la coercition excessive ?

En acceptant de voter en faveur de l’état d’urgence sanitaire, comme une majorité de parlementaires, j’ai décidé consciemment de rogner temporairement une partie de mes prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale. En votant en faveur de l’état d’urgence sanitaire, j’ai accepté que l’on rogne une partie importante de nos libertés publiques : celle d’aller et venir sans contrainte. Tout ceci n’est pas rien. Cela revient à confier encore un peu plus que d’habitude, les clés du pays à une majorité en place et à un gouvernement.

Mais pour que cela fonctionne, il faut que ce vote oblige le gouvernement en place. Qu’il réussisse à créer les conditions d’une confiance en lui, certes pas aveugle mais raisonnable. Il faut que l’on ait l’impression sinon la conviction que l’action gouvernementale est transparente et qu’elle va dans le sens de l’intérêt général. Et c’est exactement là que l’on peut aujourd’hui s’interroger. Certes aucun gouvernement ne peut tout réussir mais dans la crise que nous traversons il faut qu’il agisse avec humilité, vérité et sérieux. Or non seulement ces trois vertus sont trop souvent absentes de l’action gouvernementale mais de surcroît une partie du gouvernement ne semble pas du tout mesurer que plus que jamais la situation actuelle doit les obliger, doit les contraindre à expliciter les termes qui conduisent aux prises de décision. C’est parce que les prises de décision gouvernementales sont souvent incompréhensibles qu’elles ne créent pas actuellement les conditions de la confiance.

Il suffit de consulter le document (de plus de 60 pages) destiné aux maires, pour leur expliquer tout ce qu’ils doivent faire en termes de mesures sanitaires pour faire fonctionner les écoles, que la parole gouvernementale se trouve affaiblie. En effet, tout ceci est très complexe voire quasiment infaisable. Or imposer l’infaisable à quelqu’un qui, par ailleurs, doit en assumer la responsabilité, y compris pénale, est assez inique et scandaleux.

Cette semaine est discutée au Sénat et à l’Assemblée nationale la question du prolongement de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 juillet. Ce prolongement s’accompagnera de nouvelles mesures potentiellement privatives de libertés. Plus que jamais, pour un parlementaire, se pose la question de savoir comment concilier responsabilité, pour permettre au pays de fonctionner au mieux, avec vigilance afin que le gouvernement ne puisse pas en faire à sa guise.

Le prix à payer pour la communauté nationale est déjà très élevé et risque de l’être encore à l’avenir. Une fois la crise sanitaire jugulée, il faudra probablement encore faire face à une crise économique et sociale.

Ce qui m’interroge aujourd’hui comme député alsacien, c’est que je vois que de part et d’autre du Rhin, les choix politiques ne furent pas du tout les mêmes. Je ne vais évidemment pas me lancer dans une comparaison sur le degré de préparation et de moyens disponibles au moment où la crise est survenue mais je m’intéresse ici à la manière dont la chancelière Merckel a justifié ses choix devant le Bundestag. Elle a tout d’abord fortement insisté sur le fait qu’en raison de son histoire politique personnelle, elle ne demanderait jamais à un citoyen allemand de produire une attestation pour pouvoir circuler librement et que d’autre part elle compterait beaucoup plus sur le sens des responsabilités de ses concitoyens pour faire face à la pandémie. En somme, elle a beaucoup insisté sur la responsabilité individuelle de chacun pour faire face à la propagation du virus. Il y a là des choix politiques moins coercitifs qu’en France.

En somme, l’éthique de la responsabilité nous concerne collectivement.

Puissions-nous individuellement et collectivement en avoir conscience.

Patrick HETZEL,
Professeur des Universités, Université Paris2 Panthéon-Sorbonne
Ancien Directeur-général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle
Vice-Président du Comité international d’Evaluation et de Lecture de La RSG
Député du Bas-Rhin

Pour un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) !

Dans une intervention publique dans un colloque à Arras en 2006, reprise par une publication en 2007[1], je m’exprimais ainsi : « Il convient donc que dans les pays libres, la profession s’organise et se légitime par un ensemble de principes dits éthiques et de règles dites déontologiques valables pour toutes les familles de médias. Ces principes et règles constituent des repères de l’exercice responsable de la liberté d’informer dans une société où, tant du côté des pouvoirs publics que de la justice, persiste une vieille tendance, héritée du passé mais toujours prête à resurgir, à instrumentaliser la Presse ou à limiter la liberté des journalistes et à préserver leurs sources.

Pour ce faire, il sous semble qu’il faut concilier le contrôle de la déontologie et des informations grâce à des observatoires indépendants[2] et, et cela est parfaitement complémentaire, comme le disait l’un des plus grands professionnels de l’information, Jean Miot[3], mettre en place « la labellisation de l’information (qui) permettra (seule) de sauver le métier d’informer »[4] !

C’est dire, si notre revue s’est associée à cet « Austerlitz » pour la déontologie de la presse en France, ce 2 décembre 2019, qu’est la création d’un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM).

Bien entendu, les résistances sont nombreuses et parfois inattendues de la part de personnalités ou d’organes dont on pouvait penser qu’elles avaient le souci de la liberté de la presse qui s’assortit toujours de l’indépendance que donne un organisme paritaire par rapport à toute autre structure, y compris la Justice. L’histoire nous enseigne que cette dernière suit souvent plus la mode ou les pouvoirs que le droit à la liberté.

Il y a ceux qui veulent croire à l’organisation autonome de la profession et les tenants d’un immobilisme du quant à soi. Même si quelques impulsions sont venues de l’actuel gouvernement français, nous pensons préférable de choisir, dans l’esprit de 1945, une structure paritaire librement consentie que le carcan toujours insupportable des interventions étatiques.

Se cacher derrière la formule : « Ce sont les lecteurs qui jugent les journalistes, pas les journalistes qui se jugent entre eux.[5] » est oublié que selon le rapport du Reuters Institute[6], 24% de nos concitoyens font confiance aux médias… donc de moins en moins de lecteurs …

Invoquer « une norme artificielle de déontologie », est tout simplement nier toute valeur à une affirmation de principes de Droits et d’éthique ce qui est un non-sens grave en démocratie. Il y a bien une déontologie professionnelle, indépendante de celui à qui elle est adressée. Le nier est aussi stupide que de prétendre que seule l’appréciation du malade vaut pour l’éthique ou la déontologie médicales par exemple.

La presse et les médias renforceront leur liberté et leur crédibilité en concourant à participer à cette construction collective et paritaire qu’est le Conseil de déontologie journalistique et de médiation. La RSG en est un membre fondateur au titre des éditeurs de presse et à sa place et avec toutes les parties prenantes souhaite un plein succès à cette initiative que nous appelions de nos vœux déjà, il y a plus de 10 ans.

Philippe NASZALYI


[1]. Philippe Naszalyi, 2007. “La gestion de l’information en cas de crise la responsabilité des médias (Information management in a situation of crisis the responsability of media),” Working Papers 150, Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation. ULCO / Research Unit on Industry and Innovation. https://ideas.repec.org/p/rii/riidoc/150.html

[2]. On citera parmi les observatoires qui se sont mis en place pour vérifier et dénoncer les dérives d’information en France : Acrimed, http://www.acrimed.org/ ou l’Observatoire français des Médias, http://www.observatoire-medias.info/ ou Media ratings : http://www.m-r.fr/accueil.php

[3]. Jean Miot (1939-2017) Directeur du Figaro (1979-1980), Président de l’Asssociation Presse-Enseignement, Président de la FNPF, Directeur de l’AFP….

[4]. Jean Miot, « La déontologie du Net », in La gazette de la presse francophone, N°124, octobre-novembre 2005, page 4. Jean Miot a été, notamment : directeur du Figaro, de l’Agence France Presse (AFP), de la Fédération Nationale de la Presse française (FNPF) et de l’Association Presse Enseignement (APE) …

[5] https://blogs.mediapart.fr/la-sdj-de-mediapart/blog/291119/conseil-de-deontologie-pourquoi-nous-n-y-participerons-pas?utm_source=Newsletter+Nationale&utm_campaign=59201a5c5c-EMAIL_CAMPAIGN_2019_12_07_11_39&utm_medium=email&utm_term=0_d0b9b5b5b8-59201a5c5c-76887663&mc_cid=59201a5c5c&mc_eid=c5a1508e41

[6] https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2019-06/DNR_2019_FINAL_0.pdf